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OU LE TUEUR DE DAIMS.

d’œil, pour que ce pauvre aigle fût sur son nid avec ses petits, louant le Seigneur, — en tant que nous pouvons le savoir, — de lui avoir accordé force et santé.

Ceux qui l’écoutaient furent étrangement surpris de ce repentir soudain, causé par un fait si commun, qu’on ne s’arrête guère à en peser les conséquences pour les êtres sans défense qui en sont les victimes, et à songer à leurs souffrances. Le Delaware comprit ce que son ami disait, quoiqu’il ne comprît guère le sentiment qui le faisait parler, et pour couper la difficulté il prit un couteau et sépara la tête de l’oiseau de son corps.

— Quelle chose est le pouvoir ! continua le jeune chasseur ; et quelle chose c’est de le posséder, sans savoir comment on doit s’en servir ! Il n’est pas étonnant, Judith, que les grands manquent si souvent à leurs devoirs, quand les plus petits trouvent si difficile de faire ce qui est bien, et de ne pas faire ce qui est mal. Et voyez comme un acte d’injustice en entraîne d’autres à sa suite. Sans l’expiration de mon congé, qui me force à retourner chez les Mingos, je trouverais le nid de cette créature, quand je devrais rôder quinze jours dans les bois, — quoique le nid d’un aigle ne soit pas bien difficile à trouver pour ceux qui connaissent bien la nature de cet oiseau, — oui, j’y rôderais quinze jours, plutôt que de ne pas le trouver afin de mettre fin aux souffrances de ses petits.

— Je suis charmée de vous entendre parler ainsi, dit Hetty, et Dieu se souviendra moins du tort que vous avez eu, que du chagrin que vous en montrez. Pendant que vous tiriez, je pensais qu’il était cruel de tuer ainsi d’innocents oiseaux, et j’avais dessein de vous le dire ; mais, je ne sais comment cela s’est fait, j’étais si curieuse de voir si vous pourriez atteindre un aigle à une si grande hauteur ; que cela m’a rendue muette jusqu’à ce qu’il fût trop tard pour parler.

— C’est cela, ma bonne Hetty, c’est justement cela. Nous voyons tous nos fautes et nos bévues quand il est trop tard pour y remédier. Quoi qu’il en soit, je suis charmé que vous n’ayez point parlé, car je ne crois pas qu’un mot ou deux m’eussent arrêté en ce moment, de sorte que mon péché reste ce qu’il est en lui-même, et n’est point aggravé par la circonstance d’avoir refusé d’écouter un bon avis. Eh bien ! les reproches de la conscience sont difficiles à supporter en tout temps, mais il y a des moments où la difficulté augmente.

En se livrant à des sentiments si naturels à l’homme, et si bien d’accord avec ses principes de droiture, Deerslayer ne se doutait