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CHAPITRE XXVI.


Elle appuya son sein, plus insensible que le marbre, sur deux tables de pierre placées devant elle. Dans ce sein sommeillait le juge impartial, strict observateur de la justice, distribuant les châtiments et les récompenses ; devant ses yeux était ouvert le compte de toutes nos dettes, le registre où sont inscrits le bien et le mal, la vie et la mort. Jamais le cœur d’un mortel n’a été assez pur pour ne pas trembler de mille terreurs à la lecture de ce compte.
G. Fletcher.


Nous avons agi inconsidérément, Serpent, — oui, Judith, nous avons agi inconsidérément, en ôtant la vie à une créature, sans autre motif que la vanité, s’écria Deerslayer tandis que le Delaware soulevait par ses ailes l’oiseau énorme, dont les yeux mourants étaient fixés sur ses ennemis avec ce regard que l’être sans défense jette toujours sur ses persécuteurs. — Il aurait mieux convenu à deux enfants de satisfaire ainsi leur caprice qu’à deux guerriers marchant sur le sentier de guerre, quoique pour la première fois. Eh bien, pour m’en punir, je vous quitterai sur-le-champ, et quand je serai seul avec ces barbares Mingos, il est plus que probable que j’aurai occasion de me rappeler que la vie est douce, même pour les animaux des bois et les oiseaux de l’air. — Tenez, Judith, voici Killdeer, reprenez-le, et gardez-le pour quelque main qui en soit plus digne.

— Je n’en connais aucune qui en soit plus digne que la vôtre, Deerslayer, répondit Judith avec vivacité. — Cette carabine ne peut appartenir qu’à vous.

— S’il ne s’agissait que d’adresse, Judith, vous pourriez avoir raison ; mais il faut savoir quand on doit se servir d’une arme à feu, aussi bien que comment il faut s’en servir. Il paraît que je n’ai pas encore suffisamment appris le premier point ; ainsi, gardez cette carabine jusqu’à ce que je sois plus instruit. La vue d’une créature dans les angoisses de la mort, quoique ce ne soit qu’un oiseau, inspire des pensées salutaires à un homme qui ne sait pas dans combien peu de temps son heure peut arriver, et qui est presque sûr qu’elle arrivera avant que le soleil se couche. Je donnerais toute la gloriole de mon triomphe, toute la vanité de mon coup