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DEERSLAYER

Entrez dans l’arche un moment avec moi, Judith ; je désire vous parler.

Judith y consentit avec un plaisir qu’elle put à peine cacher. Suivant le jeune chasseur dans la cabine, elle s’assit sur une escabelle, et Deerslayer avant pris dans un coin Killdeer, la carabine qu’elle lui avait donnée, il s’assit à son tour, et plaça cette arme sur ses genoux. Après l’avoir examinée de nouveau dans toutes ses parties avec un air d’intérêt affectueux, il entama le sujet dont il voulait parler à Judith.

— J’ai compris, Judith, que vous m’avez dit que vous me faisiez présent de cette carabine, et j’ai consenti à l’accepter parce qu’une arme à feu ne peut être d’une grande utilité à une jeune femme. Celle-ci a une grande réputation, et elle la mérite : elle ne doit donc être confiée qu’à une main sûre ; car la meilleure réputation peut se perdre, si l’on n’en est pas très-soigneux.

— Peut-elle être en des mains plus sûres que celles dans lesquelles elle se trouve en ce moment, Deerslayer ? Thomas Hutter, quand il s’en servait, manquait rarement son coup ; avec vous elle sera…

— Mort certaine, dit le jeune chasseur en riant. J’ai connu autrefois un chasseur aux castors qui avait un fusil qu’il appelait ainsi ; mais c’était de la vanterie, car j’ai vu des Delawares qui atteignaient tout aussi bien leur but avec une flèche, à courte distance. Quoi qu’il en soit, je ne renierai pas mes dons, — car c’est un don, Judith, et non la nature, — et c’est pourquoi je conviendrai qu’il ne serait pas très-facile de placer cette carabine en de meilleures mains que les miennes. Mais combien de temps y restera-t-elle ? De vous à moi, il faut que je dise la vérité, quoique je n’aimasse pas à la dire si clairement au Grand-Serpent ou à Hist, vu que, me connaissant depuis bien plus longtemps, leurs sentiments pour moi doivent être plus vifs que les vôtres. Ainsi donc, combien de temps est-il probable que cette carabine, ou toute autre, m’appartiendra ? C’est une question sérieuse, et pourtant il faut y répondre. Or, s’il m’arrivait ce soir ce qu’il est probable qu’il m’arrivera, Killdeer se trouverait sans maître.

Judith éprouvait elle-même une torture morale en l’entendant parler ainsi ; mais, appréciant le caractère singulier de son compagnon, elle réussit à conserver une apparence de calme, quoique, s’il n’eût été exclusivement occupé de la carabine, un aussi bon observateur n’aurait pu manquer de remarquer l’agonie mentale qu’elle souffrait en l’écoutant. Cependant elle eut assez d’empire sur elle-même pour lui répondre d’un air tranquille :