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DEERSLAYER
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le serait un seul, et nous devons prendre les choses comme elles sont, et non comme nous voudrions qu’elles fussent.

— Écoutez-moi, Deerslayer, reprit l’Indien avec une emphase qui annonçait sa détermination : si Chingachgook était entre les mains des Hurons, que ferait mon frère à face pâle ? S’il était à ma place, s’enfuirait-il dans nos villages, pour dire aux chefs, aux vieillards et aux jeunes guerriers : — Voyez, voici Wah-ta !-Wah, un peu fatiguée, mais en sûreté ; et voici le fils d’Uncas, également en sûreté, et moins fatigué que le Chèvrefeuille parce qu’il est plus fort ? Ferait-il cela ?

— Eh bien, voilà qui est incompréhensiblement ingénieux. Sur ma foi ! il y entre assez d’astuce pour un Mingo. Dieu sait ce qui a pu vous mettre dans la tête de me faire une telle question. Ce que je ferais ? D’abord, Hist ne serait pas en ma compagnie, car elle resterait aussi près de vous qu’il lui serait possible, et par conséquent tout ce que je pourrais dire relativement à elle ne serait que sottises ; et quant à être fatiguée, elle ne pourrait l’être puisqu’elle n’aurait pas fait ce voyage, et pas un seul mot de votre discours ne sortirait de ma bouche. Vous voyez donc, Serpent, que la raison est contre vous, et vous ferez bien d’y renoncer ; car raisonner contre la raison est indigne d’un chef de votre caractère et de votre réputation.

— Mon frère n’est pas lui-même. Il oublie qu’il parle à un homme qui s’est assis autour du feu du conseil de sa nation. Quand les hommes parlent, ils ne doivent pas dire des choses qui entrent par une oreille et qui sortent par l’autre ; leurs paroles ne doivent pas être des plumes si légères, qu’un vent qui ne ride pas la surface de l’eau puisse les emporter. Il n’a pas répondu à ma question ; et quand un chef fait une question, son ami ne doit point parler d’autre chose.

— Je vous comprends, Delaware ; oui, j’entends fort bien ce que vous voulez dire, la vérité ne me permet pas de le nier. Cependant il n’est pas aussi aisé de vous répondre que vous paraissez le croire, et cela pour une raison toute simple que je vais vous dire. — Vous voulez que je vous dise ce que je ferais si j’avais, comme vous, une fiancée ici, sur ce lac, et un ami là-bas, dans le camp des Hurons, exposé à subir la torture ; n’est-ce pas cela ?

L’Indien fit un signe affirmatif, sans rompre le silence, et toujours avec gravité, quoique son œil étincelât en voyant l’embarras de son ami.

— Eh bien, je n’ai jamais eu de fiancée, jamais aucune jeune