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OU LE TUEUR DE DAIMS.

pas lui-même habitué, car c’était le premier lac qu’il eût jamais vu. — C’est ici le pays du Manitou, Hist ! il est trop beau pour les Mingos. Cependant les chiens de cette tribu hurlent en meutes dans les bois. Ils pensent que les Delawares sont endormis au-delà des montagnes.

— Ils le sont tous à l’exception d’un seul, Chingachgook. Il y en a un ici, et il est du sang d’Uncas.

— Que peut faire un guerrier contre une tribu ? — Le chemin qui conduit à nos villages est long et tortueux. Nous aurons à voyager sous un ciel couvert de nuages, et je crains, Chèvrefeuille des Montagnes, que nous ne soyons obligés de faire ce voyage seuls.

Hist comprit l’allusion, et devint triste. Il était pourtant doux à son oreille de s’entendre comparer par le guerrier qu’elle aimait au plus beau et au plus odoriférant des arbrisseaux qui croissaient sur leurs montagnes. Cependant elle continua à garder le silence, comme elle devait le faire quand il s’agissait d’un objet de grave intérêt dont il convenait aux hommes seuls de s’occuper, quoique ses habitudes acquises ne pussent cacher le léger sourire que l’affection satisfaite appelait sur sa jolie bouche.

— Quand le soleil sera là, continua le Delaware, montrant le zénith simplement en levant une main et un doigt ; le grand chasseur de notre tribu retournera chez les Hurons, pour y être traité comme un ours, qu’ils écorchent et qu’ils font rôtir, même quand ils ont l’estomac plein.

— Le Grand-Esprit peut adoucir leurs cœurs, et les détourner de leurs projets sanguinaires. J’ai vécu chez les Hurons, et je les connais. Ils ont un cœur, et ils n’oublieront pas leurs propres enfants, qui peuvent tomber entre les mains des Delawares.

— Un loup hurle toujours, un porc mange sans cesse. Ils ont perdu des guerriers, leurs femmes mêmes crieront vengeance. Notre ami à face pâle a les yeux d’un aigle, et il peut voir dans le cœur d’un Mingo ; il n’attend aucune merci. Il y a un nuage sur son esprit, quoiqu’il n’y en ait pas sur ses traits.

Il y eut une longue pause, pendant laquelle Hist passa une main sous le bras du chef comme si elle eût eu besoin de son appui, quoiqu’elle osât à peine jeter un coup d’œil à la dérobée sur ses traits, dont l’expression était devenue terrible au milieu des passions qui l’agitaient.

— Que dira le fils d’Uncas ? demanda-t-elle enfin d’une voix timide. C’est un des chefs de la tribu, et il est déjà célèbre dans le conseil, quoique si jeune encore. Quel parti son cœur lui pré-