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OU LE TUEUR DE DAIMS.

assez d’élégance, et, autant que je puis m’y connaître, assez d’éducation pour être l’épouse d’un capitaine, ne peut jamais penser à devenir la mienne. Je suppose que les jeunes filles qui savent qu’elles ont de l’esprit et de la beauté trouvent un certain plaisir à s’amuser aux dépens des jeunes gens qui n’ont ni l’un ni l’autre, comme un pauvre chasseur élevé parmi les Delawares.

Il parla ainsi d’un ton de bonne humeur, mais non sans laisser échapper quelques marques de sensibilité blessée. Bien n’aurait pu arriver de plus propre à éveiller les regrets généreux de Judith, ou à l’aider dans ses projets, en ajoutant à ses autres sentiments le stimulant d’un désir désintéressé de réparer son inadvertance, et en couvrant le tout de formes assez séduisantes et assez naturelles pour effacer l’impression désagréable que produisent les avances faites par une femme.

— Vous êtes injuste envers moi, s’écria-t-elle, avec chaleur, si vous supposez que j’aie eu ce désir, ou même cette pensée. Jamais je n’ai parlé plus sérieusement de ma vie, jamais je n’ai été plus disposée à exécuter tel arrangement que nous pourrions prendre cette nuit. Ma main a déjà été demandée bien des fois, Deerslayer ; depuis quatre ans, presque tous les trappeurs et chasseurs non mariés qui sont venus sur ce lac ont voulu me prendre pour femme, — et je crois même quelques-uns qui en avaient déjà une. Eh bien…

— Je réponds de cela, s’écria Deerslayer, oui, j’en réponds. Prenez-les en masse, Judith, et il n’y a pas dans le monde entier une classe d’hommes qui pensent plus à eux-mêmes, et qui s’inquiètent moins de Dieu et des lois.

— Eh bien ! je n’ai ni voulu ni pu en écouter aucun, — heureusement pour moi, peut-être ; — et pourtant il y avait parmi eux des jeunes gens très-bien faits ; votre connaissance Henry March, par exemple.

— Oui, Harry plaît à la vue, et beaucoup plus qu’au jugement. J’ai cru d’abord que vous aviez dessein de le prendre pour mari, Judith. — Oui, je l’ai cru. Mais avant son départ il était aisé de voir que le même wigwam ne serait pas assez grand pour vous deux.

— En cela du moins vous m’avez rendu justice, Deerslayer. Hurry est un homme dont je ne voudrais jamais pour mari, fût-il dix fois plus agréable à l’œil, et cent fois plus brave qu’il ne l’est réellement.

— Pourquoi non, Judith ? — Pourquoi non ? J’avoue que je suis curieux de savoir pourquoi un jeune homme semblable à Hurry ne peut plaire à une jeune fille comme vous.