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étaient en petit nombre, mais elles peignaient avec éloquence une affection mal récompensée et le repentir de ses fautes. Judith sanglota en les lisant, et elle fut plus d’une fois obligée d’interrompre sa lecture, les larmes qui remplissaient ses yeux lui obscurcissant la vue. Cependant elle reprit sa tâche avec un intérêt toujours croissant, et elle arriva ainsi à la dernière lettre qui avait probablement mis fin à toute correspondance entre ses parents.

Tout cela l’occupa une bonne heure, car elle avait lu avec attention une vingtaine de ces lettres, et elle en avait légèrement parcouru plus de cent. Il ne lui fut plus possible alors de se dissimuler la triste vérité sur sa naissance et celle de Hetty ; cette conviction la désespéra ; il lui sembla un moment qu’elle se trouvait séparée du reste du monde, et elle trouva de nouveaux motifs pour désirer de passer le reste de sa vie sur le lac, où elle avait déjà vu tant de jours brillants et tant d’autres ternis par le chagrin.

Il restait encore une liasse de lettres à examiner. Judith vit que c’était une correspondance entre sa mère et Thomas Hovey, qui avait par la suite quitté ce nom pour prendre celui de Hutter. Ces lettres étaient rangées avec un tel soin, que chacune était suivie de la réponse qui y avait été faite, et elles faisaient connaître le commencement de la liaison entre ce couple mal assorti beaucoup plus clairement que Judith n’aurait voulu l’apprendre. À la grande surprise, pour ne pas dire à l’horreur indicible de Judith, c’était de sa mère qu’était partie la première proposition de mariage, et elle éprouva un véritable soulagement en trouvant dans les premières lettres de cette malheureuse femme ce qui lui parut des traces de démence, ou du moins d’une tendance à cette maladie. Les réponses de Hovey annonçaient un homme grossier et sans éducation, mais qui manifestait un désir suffisant d’obtenir la main d’une femme dont la beauté était remarquable, et qui se montrait disposé à oublier la faute qu’elle avait commise pour avoir l’avantage de s’unir à une femme qui lui était si supérieure sous tous les rapports, et qui n’était même pas tout à fait sans fortune. Cette correspondance n’était pas longue, et elle se terminait par quelques lettres d’affaires dans lesquelles la malheureuse femme pressait son mari d’accélérer ses préparatifs pour s’éloigner d’un monde qui était devenu aussi dangereux pour l’un des deux époux qu’il était désagréable pour l’autre. Une seule expression, échappée à sa mère, fit connaître à Judith le motif qui l’avait décidée à épouser Thomas Hovey : c’était le ressentiment, passion qui porte si souvent la personne qui a souffert des torts d’une autre à s’infliger elle-même de nouvelles