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OU LE TUEUR DE DAIMS.

car leurs baptêmes de ce genre prédisent toujours dévastation et destruction. Mais les Peaux Rouges doivent avoir leur manière de le désigner, ainsi que les chasseurs et les trappeurs, et il est probable qu’ils lui ont donné un nom raisonnable et qui y ressemble.

— Quant aux tribus sauvages, elles ont chacune leur langue et leur manière de nommer les choses, et elles traitent cette partie du pays comme toutes les autres. Pour nous, nous nous sommes habitués à l’appeler le lac de Glimmerglass, vu que son bassin est tellement entouré de pins que sa surface réfléchit, qu’on dirait qu’il veut repousser en arrière les montagnes qui s’avancent sur ses eaux.

— Je sais qu’il en sort une rivière, car on dit qu’il en sort de tous les lacs, et le rocher près duquel je dois trouver Chingachgook est tout près d’une rivière. La colonie ne lui a-t-elle pas donné un nom ?

— À cet égard, elle a l’avantage sur nous, car elle a en sa possession un bout de cette rivière, et c’est le plus large. Le nom qu’elle porte a remonté jusqu’à sa source, car les noms remontent naturellement contre le courant. Je ne doute pas, Deerslayer, que vous n’ayez vu le Susquehannah dans le pays des Delawares ?

— Oui, sans doute, et j’ai chassé cent fois sur ses bords.

— Eh bien ! c’est la même rivière que celle dont vous parlez, et elle porte le même nom des deux côtés. Je suis charmé qu’on ait été forcé de lui conserver le nom que lui avaient donné les Peaux Rouges, car c’est bien assez de leur voler leurs terres, sans les dépouiller de leurs noms.

Deerslayer ne répondit rien, et resta le menton appuyé sur sa carabine, contemplant la vue qui l’enchantait. Le lecteur ne doit pourtant pas supposer que ce n’était que le pittoresque qui attirait si fortement son attention. L’aspect du lac était certainement admirable, et il se montrait dans un des moments les plus favorables. La surface en était lisse comme une glace, limpide comme l’air le plus pur, et elle réfléchissait les montagnes couvertes de sombres pins, tout le long de ses côtes orientales ; les arbres croissant sur les pointes avançaient leurs branches sur l’eau en lignes presque horizontales, et formaient çà et là une arche de verdure à travers laquelle on voyait l’eau briller dans les criques. C’était l’air de parfait repos, la solitude qui parlait de scènes et de forêts que la main de l’homme n’avait jamais touchées, le règne de la nature en un mot, qui transportait d’un plaisir si pur le cœur d’un homme ayant les habitudes et la tournure d’esprit de Deerslayer. Il sentait pourtant aussi en poëte, quoique ce fût sans le savoir. S’il trouvait une douce jouissance à étudier le grand livre des mystères et des formes des bois