Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 19, 1842.djvu/347

Cette page a été validée par deux contributeurs.
342
DEERSLAYER

de nous faire ce qui ne serait pas bien. Et les esprits peuvent voir, après tout ; surtout les esprits des parents qui aimaient leurs enfants.

— Hetty ! Hetty ! vous parlez de ce que vous ne connaissez pas, répondit Judith presque pâle d’émotion. Les morts ne peuvent voir, et ils ne savent rien de ce qui se passe sur la terre. — Mais n’en parlons plus. Les corps de Thomas Hutter et de notre mère reposent dans ce lac, espérons que leurs esprits sont avec Dieu. Une chose certaine, c’est que nous, qui sommes du moins les enfants de notre mère, nous sommes encore habitantes de ce monde, et il est à propos que nous décidions ce que nous devons faire dorénavant.

— Quoique Thomas Hutter ne soit pas notre père, Judith, personne ne nous disputera nos droits à ce qui lui appartenait. Nous avons le château, l’arche, les pirogues, le lac et les forêts, comme lorsqu’il vivait. Quelle raison peut donc nous empêcher de rester ici, et de continuer à y vivre comme nous l’avons fait jusqu’à présent ?

— Non, non, ma pauvre sœur, cela n’est plus possible, deux jeunes filles ne seraient pas en sûreté ici, quand même nous n’aurions pas les Hurons à craindre. Thomas Hutter lui-même avait quelquefois assez de peine à vivre en paix sur ce lac, et nous ne pourrions y réussir. Il faut que nous quittions ces environs, Hetty, et que nous allions demeurer dans les établissements.

— Je suis fâchée que vous pensiez ainsi, Judith, répondit Hetty, baissant la tête sur son sein et regardant d’un air mélancolique l’eau qui couvrait le corps de sa mère ; je regrette de vous entendre parler ainsi. Je préférerais rester dans le lieu où j’ai passé une si grande partie de ma vie ; si je n’y suis pas née : je n’aime pas les établissements : il s’y trouve beaucoup de méchants, au lieu que Dieu n’est jamais offensé sur ces montagnes. J’aime les arbres, le lac, les sources et tout ce que sa bonté nous a accordé, et je serais bien fâchée d’être obligée de les quitter. Vous, Judith, vous êtes belle, vous avez votre esprit tout entier, et nous aurons bientôt, vous un mari et moi un frère pour prendre soin de nous, s’il est vrai que deux jeunes filles ne puissent prendre soin d’elles-mêmes dans un endroit comme celui-ci.

— Ah, Hetty ! si cela pouvait être, je me trouverais mille fois plus heureuse dans ces bois que dans les établissements. Je n’ai pas toujours pensé ainsi, mais à présent je le sens. Mais où est l’homme qui puisse faire pour nous de ce lieu solitaire un jardin d’Éden ?