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OU LE TUEUR DE DAIMS.

mesures nécessaires furent prises sans son avis, et sans qu’elle en fût instruite.

Le moment fixé pour la cérémonie était celui où le soleil se couchait, et l’on n’aurait pu choisir une heure et une scène plus convenables pour rendre les derniers devoirs à un homme dont l’âme eût toujours été calme et pure. Il y a dans la mort un mystère et une dignité solennelle qui disposent les vivants à regarder les restes mêmes d’un malfaiteur avec un certain degré de respect. Toutes les distinctions mondaines ont cessé ; on pense que le voile a été levé, et que le caractère et le destin du défunt sont au-dessus des opinions des hommes, aussi bien que leurs connaissances. C’est en cela surtout que la mort réduit les hommes au même niveau ; car, quoiqu’il puisse être impossible de confondre absolument le grand et le petit, l’homme vertueux et le criminel, on sent qu’il y aurait de l’arrogance à prétendre au droit de juger ceux qu’on croit se trouver devant le siège du jugement de Dieu. Quand Judith fut informée que tout était prêt, elle monta passive sur la plate-forme, à la requête de sa sœur, et fit attention pour la première fois aux arrangements qui avaient été faits. Le corps était déposé sur le scow, enveloppé d’un drap dans lequel on avait placé une centaine de livres de pierres, prises à l’endroit qui servait de cheminée, afin qu’il ne pût manquer de descendre jusqu’au fond de l’eau. On parut penser qu’aucun autre préparatif n’était nécessaire, quoique Hetty portât sa Bible sous son bras.

Quand ils furent tous à bord de l’arche, cette singulière habitation de l’homme dont elle portait alors les restes fut mise en mouvement. Hurry tenait les rames, et elles semblaient n’être qu’un jouet pour ses bras vigoureux et robustes. Comme il était expert dans cet art, le Delaware resta spectateur passif. Le sillage du scow dans le lac avait quelque chose de la solennité imposante d’un cortège funéraire, les rames battant l’eau à intervalles égaux et le mouvement du bateau étant lent et uniforme. Le léger bruit de l’eau, quand les rames y tombaient ou en sortaient, suivait la mesure des efforts de Hurry, et aurait pu se comparer aux pas comptés de ceux qui suivent un convoi. Le lac offrait un aspect tranquille, qui s’accordait on ne peut mieux avec un rite qui s’associe invariablement à l’idée de la Divinité ; on ne voyait pas une seule ride sur la surface, et l’immense panorama des forêts semblait regarder la sainte tranquillité de la cérémonie, et de l’heure à laquelle elle avait lieu, dans un silence mélancolique. Judith était touchée jusqu’aux larmes, et Hurry lui-même, quoiqu’il sût à peine pourquoi, était