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OU LE TUEUR DE DAIMS.

que vous soyez disposé à rester dans ce canton, nous pouvons faire une excellente saison. Tandis que Tom et moi nous prouverons aux castors que nous sommes plus malins qu’eux, vous vous occuperez de la pêche et de la chasse pour nous maintenir à tous le corps et l’âme. Nous donnons toujours une demi-part aux plus pauvres chasseurs ; mais un jeune homme aussi alerte et aussi sûr de son coup que vous l’êtes, a droit de s’attendre à une part entière.

— Je vous remercie, Hurry, je vous remercie de tout mon cœur ; mais je chasse un peu moi-même le castor quand l’occasion s’en présente. Les Delawares m’ont donné le nom de Tueur de daims ; mais c’est moins parce que je suis un assez bon fournisseur de venaison que parce que, si je tue tant de daims et de daines, je n’ai jamais ôté la vie à un de mes semblables. Ils disent que leurs traditions ne citent pas un seul homme qui ait jamais fait couler le sang de tant d’animaux sans avoir répandu une goutte de sang humain.

— J’espère qu’ils ne vous regardent pas comme une poule mouillée, mon garçon. Un homme sans cœur est comme un castor sans queue.

— Je ne crois pas qu’ils me regardent comme extraordinairement timide, quoiqu’ils puissent ne pas me regarder comme extraordinairement brave. Mais je ne suis pas querelleur, et cela va loin pour ne pas avoir les mains teintes de sang parmi les chasseurs et les Peaux Rouges, et je vous dirai, Henry March, que cela met aussi la conscience à l’abri des taches de sang.

— Eh bien, quant à moi, je regarde les daims, les Peaux Rouges et les Français à peu près comme la même chose, quoique je ne sois pas un querelleur comme il y en a tant dans les colonies. Je méprise un querelleur comme un chien hargneux ; mais il ne faut pas être trop scrupuleux quand vient le moment de montrer justement les dents.

— Je regarde comme l’homme le plus estimable, Hurry, celui qui se tient toujours le plus près possible de la justice. — Mais ce lac est glorieux, et je ne me lasse pas de le regarder.

— C’est parce que vous n’en aviez pas encore vu, et ces idées nous viennent à tous en pareille occasion. Les lacs ont un caractère général, après tout : ce n’est que de la terre et de l’eau, avec des pointes et des criques.

Comme cette définition ne s’accordait pas avec les sentiments qui occupaient le jeune chasseur, il ne répondit rien, et se livra à une jouissance silencieuse en regardant l’eau limpide et les montagnes verdoyantes.