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DEERSLAYER

sommet des arbres, semblait à peine descendre aussi bas que la surface du lac, mais se faisait sentir un peu au-dessus, saturé des vapeurs qui s’élevaient constamment de la forêt, et ne paraissant jamais aller bien loin du même côté. Ce courant était naturellement déterminé par la conformation des montagnes, circonstance qui rendait même une brise fraîche incertaine, et qui réduisait les efforts plus faibles de l’air de la nuit à n’être en quelque sorte qu’un soupir capricieux des bois. Plusieurs fois le cap du scow inclina vers l’est, et une fois même il tourna tout à fait au sud ; mais au total il faisait route vers le nord, Hutter profitant toujours du vent, si l’on peut donner ce nom à ce qui n’était que l’air de la nuit. Son principal motif paraissait être de se maintenir toujours en mouvement, pour déjouer tout dessein perfide de ses ennemis. Il commençait alors à avoir un peu d’inquiétude pour ses filles, et peut-être aussi pour sa pirogue ; mais cette inquiétude ne le tourmentait guère, attendu la confiance qu’il avait dans l’intelligence de Judith, comme nous l’avons déjà dit.

C’était l’époque des nuits les plus courtes, et il ne se passa pas bien longtemps avant que l’obscurité commençât à se dissiper pour faire place au retour de la lumière. Si la terre peut présenter aux sens de l’homme une scène capable de calmer ses passions et d’adoucir sa férocité, c’est celle qui s’offrit aux yeux de Hutter et de Harry à l’instant où la nuit se changea en matin. Le firmament se chargeait alors de ces teintes douces qui ne laissent prendre l’ascendant, ni à la sombre obscurité de la nuit, ni à l’éclat brillant du soleil, et sous lesquelles tous les objets prennent un aspect plus céleste, et nous pourrions dire plus sacré, qu’à tout autre moment des vingt-quatre heures. Le beau calme du soir a été vanté par mille poëtes, et cependant il n’amène pas avec lui les pensées sublimes de la demi-heure qui précède le lever du soleil. Dans le premier cas, le panorama se dérobe peu à peu à la vue ; dans le second, les objets se développent à chaque instant, et sortent du tableau : d’abord obscurs, ils deviennent saillants, se montrent dans un arrière-plan solennel avec tous les avantages d’un crépuscule croissant, chose aussi différente que possible d’un crépuscule à son déclin ; et enfin on les voit distincts et lumineux à mesure que les rayons du grand centre de la lumière se répandent dans l’atmosphère. Le chant des oiseaux n’offre même rien de nouveau quand ils vont percher pour la nuit, ou qu’ils rentrent dans leur nid, car il accompagne invariablement aussi la naissance du jour, et dure jusqu’à ce que le soleil se levant lui-même,