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OU LE TUEUR DE DAIMS.

sa voix ajoutait au poids de ses reproches, en leur donnant un air de pureté et de vérité. Comme la plupart des hommes d’un esprit vulgaire, il n’avait jamais envisagé les Indiens que sous le rapport de leurs traits les plus grossiers et les plus féroces. Il n’avait jamais songé que les affections humaines appartiennent à tous les hommes ; que même les plus hauts principes, modifiés par les habitudes et les préjugés de chaque cercle, mais qui n’en existent pas moins dans ce cercle, peuvent se trouver dans l’état sauvage, et que le guerrier indien qui est le plus farouche dans les combats peut se soumettre à l’influence de la douceur et de la bonté dans ses moments de tranquillité domestique. En un mot, il s’était fait une habitude de considérer tous les Indiens comme n’étant que d’un faible degré au-dessus des animaux sauvages qui habitent les forêts, et il était disposé à les traiter en conséquence, suivant que son intérêt ou son caprice lui en fournissait un motif. Cependant, quoique confondu par ces reproches, on ne pouvait dire que le blanc barbare se repentît ; mais sa conscience lui parlait encore trop haut pour qu’il se laissât aller à l’emportement, et peut-être sentait-il que ce qu’il venait de faire ne pouvait passer pour un acte de bravoure. Au lieu donc de se mettre en courroux, ou de chercher à répondre au discours plein de naturel et de simplicité de Hist, il s’éloigna avec l’air d’un homme qui dédaigne d’entrer en discussion avec une femme.

Pendant ce temps l’arche avançait toujours, et pendant que les torches brillaient sous les arbres, elle était déjà en plein lac. Le vieux Tom voulut pourtant l’éloigner encore davantage, comme si un secret instinct lui eût fait craindre des représailles. Une heure se passa dans un sombre silence, personne ne semblant disposé à l’interrompre. Hist s’était jetée sur un lit dans la cabine ; Chingachgook dormait étendu sur l’avant du scow ; Hutter et Hurry veillaient seuls, le premier tenant l’aviron-gouvernail, tandis que le second réfléchissait à sa conduite avec l’opiniâtreté d’un homme peu disposé à avouer ses fautes, et sentait les morsures secrètes du ver rongeur qui ne meurt jamais. Ce fut en ce moment que Judith et Hetty arrivèrent au centre du lac, et que, laissant aller leur pirogue à la dérive, elles s’y étendirent pour tâcher de dormir.

La nuit était calme, quoique de gros nuages couvrissent le firmament. Ce n’était pas la saison des tempêtes, et celles qui ont lieu sur le lac pendant le mois de juin, quoique souvent assez violentes, sont toujours de courte durée. Cependant il y avait le courant ordinaire de l’air pesant et humide de la nuit, qui, passant sur le