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DEERSLAYER

en pensant qu’on peut avec justice me dire l’égale d’un homme comme Deerslayer. Il est vrai que j’ai reçu plus d’éducation ; que, dans un sens, j’ai plus de beauté ; que peut-être, je pourrais porter mes vues plus haut ; mais aussi sa véracité — sa véracité établit une cruelle différence entre nous ! — Eh bien ! laissons ce sujet, et pensons aux moyens de tirer Deerslayer des mains des Hurons. Nous avons dans l’arche la grande caisse de mon père ; peut-être y trouverons-nous encore des éléphants pour tenter les sauvages. Je crains pourtant que de pareilles babioles ne puissent racheter la liberté d’un homme tel que Deerslayer. Je ne sais trop si mon père et Hurry seraient aussi empressés de racheter la liberté de Deerslayer, que Deerslayer l’a été de racheter la leur.

— Pourquoi non ? Deerslayer et Hurry sont amis, et des amis doivent toujours s’entraider.

— Hélas ! pauvre Hetty, vous connaissez bien peu les hommes ! Des gens qui ont toutes les apparences de l’amitié sont souvent plus à craindre que des ennemis déclarés, — et surtout pour les femmes. — Mais vous retournerez encore à terre demain matin, pour tâcher de savoir ce qu’on peut faire pour Deerslayer. Il ne sera pas mis à la torture tant que Judith Hutter vivra et pourra trouver des moyens pour l’empêcher.

La conversation roula alors sur différents sujets, et elle se prolongea jusqu’à ce que la sœur aînée eût tiré de la cadette tout ce que les faibles facultés de celle-ci avaient pu retenir de ce qu’elle avait vu et entendu dans le camp des Hurons. Lorsque Judith fut satisfaite — et l’on pourrait dire qu’elle ne le fut jamais, car le vif intérêt qu’elle prenait à tous ces détails rendait sa curiosité presque insatiable ; — disons donc, lorsqu’elle ne put trouver à faire aucune question qui ne fût une répétition de celles qu’elle avait déjà faites, elle songea sérieusement à retourner au scow. L’obscurité intense de la nuit, et l’ombre épaisse que jetaient sur les eaux du lac les montagnes et les arbres de la forêt, rendirent difficile de trouver l’arche, qui était restée à l’ancre aussi près du rivage que la prudence le permettait. Judith savait parfaitement conduire une pirogue d’écorce, dont la légèreté exigeait plus de dextérité que de force, et elle fit voler son petit esquif sur la surface de l’eau, du moment que son entretien avec sa sœur fut terminé. Cependant l’arche était invisible. Plusieurs fois elles crurent l’entrevoir dans l’obscurité comme un rocher noir presque à fleur d’eau ; mais, à chaque occasion, c’était une illusion d’optique occasionnée par une cause ou par une autre. Après une demi-heure de recherches