Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 19, 1842.djvu/289

Cette page a été validée par deux contributeurs.
284
DEERSLAYER

charmée que vous ayez prononcé ce mot, car il me rappelle tout ce qu’il m’a dit. Oui, il m’a dit que les sauvages pouvaient lui faire souffrir des tourments ; mais qu’il tâcherait de les supporter comme il convient à un chrétien et à un homme blanc, et que personne ne devait rien craindre.

— Quoi ! s’écria Judith respirant à peine, Deerslayer vous a-t-il réellement dit qu’il pensait que ces sauvages le mettraient à la torture ? Réfléchissez-y bien, Hetty, car c’est une chose sérieuse et terrible.

— Oui, il me l’a dit, et vous me l’avez rappelé en me disant que je vous tourmentais. Oh ! j’en étais bien fâchée pour lui ; et il en parlait si tranquillement ! Deerslayer n’est pas aussi beau que Hurry Harry, mais il est plus tranquille.

— Il vaut un million de Hurrys ! Oui, il vaut mieux que tous les jeunes gens qui soient jamais venus sur les bords du lac, mis tous ensemble ! s’écria Judith avec une énergie qui surprit sa sœur. Il est vrai, il n’y a pas de fausseté en lui. Vous, Hetty, vous pouvez ne pas savoir quel mérite c’est pour un homme d’être vrai ; mais il peut venir un jour où vous apprendrez… Non ! j’espère que vous ne le saurez jamais. Pourquoi une jeune fille comme vous recevrait-elle la dure leçon de la méfiance et de la haine ?

En dépit des ténèbres, et quoiqu’elle ne pût être vue que par l’œil de celui qui voit tout, Judith se cacha le visage des deux mains et poussa un profond gémissement. Ce paroxysme soudain de sensibilité ne dura qu’un instant, et elle continua à parler à sa sœur avec plus de calme et autant de franchise ; car elle savait qu’elle pouvait compter sur sa discrétion, en tout ce qui la concernait elle-même. Cependant sa voix prit un ton bas et presque rauque, au lieu d’être claire et animée comme auparavant.

— Il est bien dur de craindre la vérité, Hetty, continua-t-elle, et pourtant je crains la vérité pour Deerslayer plus qu’aucun ennemi. On ne peut biaiser avec tant de véracité, tant d’honnêteté, tant de droiture rigide. Mais nous ne sommes pas tout à fait sur un pied d’inégalité, Deerslayer et moi, ma sœur ; il n’est pas tout à fait au-dessus de moi, ne le pensez-vous pas, ma sœur ?

Il n’était pas ordinaire à Judith de s’abaisser au point d’en appeler au jugement de sa sœur, et elle ne lui donnait pas souvent le titre de sœur, distinction qui est plus communément accordée par la cadette à l’aînée, même quand il existe une parfaite égalité entre elles sous tout autre rapport. Le changement d’une bagatelle dans la conduite habituelle d’une personne frappe souvent l’imagination