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DEERSLAYER

de son désappointement, et ne se souciant pas d’avoir de témoin de son entrevue dérobée, le jeune guerrier fit signe à Hetty de continuer son chemin le long du rivage. Hetty obéit ; mais en s’éloignant elle lui parla en anglais avec son accent de douceur, et le silence de la nuit faisait entendre sa voix jusqu’à quelque distance.

— Si vous me preniez pour une Huronne, guerrier, je ne suis pas surprise que vous soyez si peu content. Je suis Hetty Hutter, fille de Thomas Hutter, et je n’ai jamais eu de rendez-vous la nuit avec aucun homme, car ma mère m’a toujours dit que cela était mal, et qu’aucune jeune fille modeste ne devait se le permettre. Je parle des jeunes filles à face pâle, car je sais que les coutumes diffèrent comme les couleurs. Non, non ! je suis Hetty Hutter, et je ne voudrais pas donner un rendez-vous même à Hurry Harry, quand il me le demanderait à genoux : ma mère m’a dit que cela était mal.

Tout en parlant ainsi, elle arriva à l’endroit où la pirogue l’avait mise à terre, et où, attendu les buissons et la courbe que décrivait le rivage, elle aurait été complètement cachée aux yeux de la sentinelle, même en plein jour. Mais d’autres pas avaient frappé l’oreille de l’amant indien, et il était loin de songer à écouter le son argentin de la voix de Hetty. Entièrement occupée de ses pensées et de ses desseins, elle continuait à parler ; mais la douceur de sa voix l’empêchait de pénétrer dans la forêt, quoi qu’elle se propageât plus loin sur la surface de l’eau.

— Judith, s’écria-t-elle, me voici, et il n’y a personne près de moi. La sentinelle huronne a un rendez-vous avec sa maîtresse, qui est une Indienne, comme de raison, et qui n’a jamais eu une mère chrétienne pour lui dire qu’il était mal d’avoir un…

Elle fut interrompue par un chut ! venant du côté de l’eau, et au même instant elle entrevit la pirogue qui s’approchait, et qu’elle entendit bientôt toucher le sable. Dès qu’elle y fut entrée, la pirogue s’éloigna, l’arrière en avant, comme si elle eût été douée de vie et de volonté, et aussitôt qu’elle fut à une cinquantaine de toises du rivage, Judith en mit le cap au large, tant pour doubler la pointe que pour ne pas risquer de faire entendre leurs voix tout en se dirigeant vers l’arche. Elles gardèrent le silence quelques minutes, et alors Judith, se croyant dans une position favorable pour causer avec sa sœur, tout en conduisant la pirogue presque avec autant de dextérité qu’un homme aurait pu le faire, entama la conversation qu’il lui tardait de commencer depuis qu’elles avaient quitté la pointe.