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OU LE TUEUR DE DAIMS.

nuiront jamais au vieux Tom, qui a la possession pour lui, et qui la gardera sans doute tant qu’il vivra. Tom Hutter n’est pas propriétaire terrien, puisqu’il n’habite pas sur la terre, et je l’appelle Tom Flottant.

— Je porte envie à cet homme. Je sais que je fais mal, et je lutte contre ce sentiment ; mais je porte envie à cet homme. Ne vous imaginez pas, Hurry, que je forme quelque plan pour mettre mes pieds dans ses moccasins ; rien n’est plus éloigné de ma pensée ; mais je ne puis m’empêcher d’avoir un peu d’envie. Cela est naturel, après tout, et les meilleurs de nous cèdent par moments aux mouvements de la nature.

— Vous n’avez qu’à épouser Hetty, et vous hériterez de la moitié de ses biens, s’écria Hurry en riant. Elle est jolie, et sans le voisinage de sa sœur, on pourrait même dire qu’elle est belle. Ensuite elle a si peu d’esprit, que vous pourrez aisément lui faire adopter votre manière de penser en toute chose. Débarrassez le vieux Tom de sa fille Hetty, et je réponds qu’il vous donnera une prime sur chaque daim que vous tuerez à cinq milles de son lac.

— y a-t-il beaucoup de gibier dans ce canton ? demanda tout à coup Deerslayer, qui avait fait peu d’attention aux plaisanteries de March.

— C’est le gibier qui en est le maître. À peine y tire-t-on un coup de fusil ; et quant aux trappeurs, ils ne fréquentent guère ces environs. Je ne devrais pas moi-même y être si souvent ; mais Judith m’attire d’un côté, et les castors de l’autre. Elle m’a fait perdre plus de cent dollars d’Espagne pendant les deux dernières saisons ; et pourtant je ne puis résister au désir de la voir encore une fois.

— Les hommes rouges viennent-ils souvent sur les bords de ce lac ? demanda encore Deerslayer suivant le fil de ses pensées.

— Ils vont et viennent, quelquefois en troupe, quelquefois seuls. Ce canton ne paraît appartenir particulièrement à aucune peuplade des naturels du pays, et c’est ainsi qu’il est tombé entre les mains de la tribu Hutter. Le vieux Tom m’a dit que quelques gens rusés ont cajolé les Mohawks pour qu’ils leur fissent la cession de ce canton, afin d’avoir un titre à des terres hors de la colonie. Mais il n’en est rien résulté, attendu qu’il ne s’est encore présenté personne qui fût assez solide pour faire un tel marché. Les chasseurs ont donc encore un bon bail à vie de ces solitudes.

— Tant mieux, Hurry, tant mieux ! Si j’étais roi d’Angleterre, quiconque abattrait un de ces arbres sans en avoir réellement besoin, serait banni dans quelque pays désert et éloigné, où il ne se trou-