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DEERSLAYER

Musqué. Le vieux Tom lui-même sourit de ce nom, quoique ce soit un sarcasme sur son caractère. C’est sa maison stationnaire, car il en a deux, celle-ci qui ne change jamais de place, et une autre qui flotte sur l’eau, et qui est tantôt dans une partie du lac, tantôt dans une autre. Il appelle cette dernière l’arche ; mais que signifie ce mot ? c’est plus que je ne saurais vous dire.

— Ce nom doit venir des missionnaires, Hurry, car je les ai entendus parler d’une chose semblable. Ils disent que la terre fut autrefois entièrement couverte d’eau, et que Noé et ses enfants évitèrent d’être noyés en construisant un navire nommé l’arche, à bord duquel ils se réfugièrent à temps. Il y a des Delawares qui croient à cette tradition, et d’autres qui la rejettent. Quant à nous, notre devoir, comme hommes blancs, est d’y croire. — Apercevez-vous cette arche ?

— Non ; elle est sans doute du côté du sud, ou à l’ancre dans quelqu’une des criques. Mais la pirogue est prête, et dans quinze minutes, deux rameurs comme vous et moi, nous serons au château.

Deerslayer aida alors son compagnon à placer leurs valises et leurs armes dans la pirogue, qui était déjà à flot. Aussitôt après, ils s’embarquèrent, et poussant vigoureusement la terre de leurs pieds, ils lancèrent leur nacelle à huit ou dix verges du rivage. Hurry s’assit à l’arrière, et Deerslayer se plaça sur l’avant ; et comme ils étaient tous deux excellents rameurs, la pirogue glissa sur la nappe d’eau tranquille, dans la direction de l’édifice extraordinaire que le premier avait appelé le château du Rat-Musqué. Plusieurs fois ils cessèrent de ramer pour contempler une nouvelle vue qui s’offrait à eux ; car chaque fois qu’ils avaient doublé une pointe, tantôt ils pouvaient voir plus avant dans le lac, tantôt les montagnes boisées leur offraient un aspect plus étendu. Tous ces changements ne consistaient pourtant qu’en formes nouvelles que prenaient les montagnes, en dentelures variées des différentes criques, et en une vue plus directe de la vallée au sud, toute la terre étant revêtue d’une parure de feuillage.

— C’est une vue qui réchauffe le cœur, s’écria Deerslayer quand ils se furent arrêtés ainsi quatre ou cinq fois ; ce lac semble fait pour mieux nous montrer ces nobles forêts, et la terre et l’eau attestent la beauté de la Providence divine. Ne dites-vous pas, Hurry, qu’il n’y a personne qui puisse se dire propriétaire légitime de cette contrée glorieuse ?

— Personne que le roi, mon garçon. Il peut prétendre à quelque droit de cette espèce ; mais il est si loin d’ici que ses prétentions ne