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OU LE TUEUR DE DAIMS.

et observer les Indiens, ce qui les mettrait à portée de former des conjectures plausibles sur l’absence de Hist. Le Delaware refusa résolument de quitter ce lieu, en objectant, avec assez de raison, le désappointement qu’éprouverait la jeune fille, si par hasard elle arrivait après leur départ. Deerslayer partagea les inquiétudes de son ami, et s’offrit à faire seul le tour de la pointe, en le laissant caché dans les buissons pour y attendre les événements favorables à ses projets. Cette proposition ayant été acceptée, ils se séparèrent.

Aussitôt que Deerslayer eut repris son poste sur l’arrière de la pirogue, il s’éloigna du rivage avec autant de précaution et de silence que lorsqu’il s’en était approché. Cette fois il ne s’écarta que peu de la terre, car les buissons lui offraient un abri suffisant, pourvu qu’il en passât aussi près que possible. Dans le fait, il eût été difficile d’inventer un meilleur moyen pour faire une reconnaissance autour d’un camp indien, que celui que lui procurait la situation actuelle des choses. La conformation de la pointe permettait qu’on la côtoyât de trois côtés, et la pirogue faisait si peu de bruit, qu’il n’y avait pas lieu de craindre qu’elle donnât l’éveil. Le pied le plus discret et le plus exercé peut agiter un tas de feuilles ou faire craquer une branche sèche dans les ténèbres ; mais on réussit à faire flotter une pirogue en écorce sur la surface d’une eau tranquille, avec le sûr instinct et toute la légèreté silencieuse d’un oiseau aquatique.

Deerslayer se trouvait presque en ligne droite entre l’arche et le camp avant d’avoir aperçu le feu. La lueur en frappa ses yeux tout à coup, et un peu à l’improviste. Il en fut alarmé un moment, craignant de s’être imprudemment aventuré dans le cercle de lumière. Un nouveau coup d’œil le convainquit qu’il ne courait aucun danger d’être découvert, tant que les Indiens resteraient dans la partie éclairée ; et après avoir arrêté la pirogue dans la position la plus favorable qu’il put trouver, il commença ses observations.

Tout ce que nous avons dit au sujet de cet être extraordinaire n’est d’aucune valeur, si le lecteur ne sait pas déjà que, tout ignorant qu’il était des usages du monde, et tout simple qu’il s’est toujours montré en tout ce qui concerne les subtilités de convention et de goût, Deerslayer était un être doué naturellement de sentiments énergiques, et même poétiques. Il aimait les bois pour leur fraîcheur, leurs sublimes solitudes, leur immensité, et les traces partout visibles du cachet divin de leur créateur. Rarement il les parcourait sans s’arrêter devant quelques beautés particulières qui le charmaient, bien qu’il n’essayât pas souvent d’en approfondir les