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OU LE TUEUR DE DAIMS.

de la vengeance. Mais ni l’un ni l’autre de ces deux êtres grossiers, si impitoyables en tout ce qui touchait les droits et les intérêts de l’homme rouge, quoique, du reste, ils possédassent quelques sentiments d’humanité, n’y fut si fortement poussé par aucun autre motif que la soif du gain qu’ils voulaient étancher à tout prix. À la vérité, les souffrances que Hurry avait éprouvées avaient allumé son courroux au moment de sa délivrance ; mais cette émotion avait été bien vite effacée par son amour naturel pour l’or, qu’il convoitait avec l’insouciante avidité d’un prodigue aux abois, plutôt qu’avec la passion incessante de l’avare. En un mot, le motif qui les portait à marcher si tôt contre les Hurons, était un mépris habituel pour leurs ennemis, aidé de l’avidité insatiable de la prodigalité. Cependant les nouvelles chances de succès eurent quelque part au projet de cette seconde entreprise. Ils savaient qu’une grande partie des guerriers, peut-être tous, étaient campés pour la nuit en face du château, et ils espéraient en conséquence pouvoir s’emparer des chevelures de victimes sans défense. À dire vrai, Hutter surtout, Hutter qui venait de laisser deux filles derrière lui, s’attendait à trouver fort peu d’hommes dans le camp, mais seulement des femmes et des enfants. Il n’avait fait qu’une légère allusion à ce fait dans ses entretiens avec Hurry, et il n’en avait pas dit un mot à Chingachgook, qui, si l’idée lui en était venue, l’avait gardée pour lui seul.

Hutter gouvernait la pirogue, Hurry avait bravement pris son poste sur l’avant, et Chingachgook se tenait debout au centre. Nous disons — debout — car ils savaient tous trois conduire cette sorte de frêle barque avec assez d’habileté pour pouvoir garder cette posture au milieu des ténèbres. Ils s’approchèrent du rivage avec circonspection, et le débarquement fut effectué en sûreté. Ils préparèrent leurs armes, et commencèrent à s’approcher du camp à pas de tigre. L’Indien marcha en tête, suivi de près par ses compagnons, et ils se glissèrent en avant avec tant de précautions, que leurs pas faisaient à peine le plus léger bruit. Çà et là, une branche sèche craquait sous l’énorme poids du gigantesque Hurry, ou sous les pieds lourds et maladroits du vieillard ; mais l’Indien aurait marché dans l’air que ses pas n’eussent pas paru plus légers. L’objet essentiel était de découvrir d’abord la position du feu, qu’ils savaient être au centre du camp. À la fin, l’œil perçant de Chingachgook entrevit un indice de ce guide important : c’était une faible lueur qu’on apercevait à travers les arbres, à quelque distance. On ne voyait pas de flamme, mais seulement un tison fumant, car il se