Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 19, 1842.djvu/225

Cette page a été validée par deux contributeurs.
220
DEERSLAYER
 Les corrections sont expliquées en page de discussion

clure le meilleur marché possible. Il serait superflu de rapporter dans tous ses détails le dialogue décousu qui suivit, et durant lequel l’Indien ne déploya pas peu d’adresse dans les efforts qu’il fit pour regagner le terrain perdu sous l’influence de la surprise. Il affecta même de douter que l’original de cette figure d’animal existât, et il affirma que l’Indien le plus âgé n’avait jamais entendu parler d’aucune bête de cette espèce. Ils étaient loin de songer l’un et l’autre qu’à bien moins d’un siècle de là les progrès de la civilisation amèneraient dans cette contrée des animaux bien plus extraordinaires et bien plus rares encore pour être exposés à l’admiration des curieux, et que l’on verrait la bête en question se baignant et nageant dans le lac même sur lequel cette entrevue avait lieu. Comme cela se voit fréquemment en semblables occasions, une des deux parties s’échauffa un peu dans le cours de la discussion ; car Deerslayer réfuta tous les arguments, et éluda tous les détours de son subtil antagoniste avec la froide précision et la franchise inaltérable qui lui étaient propres. Il ne savait guère mieux que le sauvage ce que c’était qu’un éléphant ; mais il comprenait parfaitement que les morceaux d’ivoire sculptés devaient avoir, aux yeux d’un Iroquois, à peu près la valeur qu’un sac d’or ou un ballot de peaux de castors aurait pour un marchand. Dans de telles circonstances, il sentit qu’il était prudent de ne pas faire d’abord trop de concessions, puisqu’il existait un obstacle presque invincible à l’échange, même après que les parties contractantes seraient d’accord sur les conditions. Sentant tout l’embarras de cette position, il tint en réserve les autres pièces, comme propres à aplanir, au moment du besoin, toutes les difficultés qui pourraient se présenter.

À la fin, le sauvage prétendit qu’il était inutile de continuer la négociation, attendu qu’il ne pouvait commettre, à l’égard de sa tribu, l’injustice de renoncer à la gloire et aux bénéfices que devaient procurer deux excellentes chevelures mâles dans toute leur force pour une aussi légère considération que deux jouets comme ceux qu’il avait vus, et il se disposa à partir. Les deux parties éprouvèrent alors le sentiment qu’éprouvent généralement deux individus quand un marché désiré par chacun d’eux est sur le point d’être rompu par suite d’un débat trop obstiné. Néanmoins l’effet de ce désappointement fut très-différent sur chacun des deux négociateurs. Deerslayer éprouva de la mortification et des regrets, car il plaignait non-seulement les prisonniers, mais encore les deux sœurs. L’abandon du traité le rendit donc triste et soucieux. Quant au sauvage, le manque de succès fit naître en lui un féroce désir de