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DEERSLAYER
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succédèrent un sourire et un mouvement de la main dont la courtoisie aurait fait honneur à la diplomatie asiatique. Les deux Iroquois conversèrent à voix basse, puis ils s’avancèrent vers l’extrémité du radeau la plus rapprochée de la plate-forme.

— Mon frère Hawkeye a envoyé un message aux Hurons, reprit Rivenoak, et leurs cœurs en ont été réjouis. Ils ont appris qu’il a des images de bêtes à deux queues ! les montrera-t-il à ses amis ?

— Ennemis serait un mot plus vrai, répondit Deerslayer ; mais les mots ne sont que du son, et font peu de mal. Voici une de ces images, je vous la passe sous la foi des traités. Si elle n’est point rendue, le mousquet décidera la question entre nous.

L’Iroquois parut consentir à ces conditions, et Deerslayer se leva pour jeter un de ces éléphants sur le radeau, après que de part et d’autre on eut pris toutes les précautions nécessaires pour ne pas le perdre. Comme la pratique rend expert en pareille matière, le morceau d’ivoire eut bientôt passé heureusement d’une main dans l’autre ; et dans la nouvelle scène qui eut lieu alors sur le radeau, le stoïcisme indien échoua entre la surprise et le ravissement. En examinant la pièce d’échecs si curieusement travaillée, les deux vieux guerriers à mine rébarbative manifestèrent encore plus d’émotion que n’en avait laissé paraître le jeune homme, car chez ce dernier la leçon qui lui avait été faite peu de temps auparavant avait eu sur lui de l’influence, tandis que ces hommes, semblables à tous ceux qui se reposent sur des réputations bien établies, ne rougissaient pas de laisser voir en partie ce qu’ils éprouvaient. Pendant quelques minutes, ils semblèrent avoir perdu tout sentiment de leur situation, tant était intense l’attention qu’ils donnaient à un objet d’une matière si belle et d’un travail si exquis, et à un animal si extraordinaire. La lèvre de l’élan est peut-être ce qui se rapproche le plus de la trompe de l’éléphant dans les forêts de l’Amérique ; mais cette ressemblance était bien loin d’être assez frappante pour mettre cette créature nouvelle à la portée de leurs habitudes et de leurs idées ; aussi, plus ils examinaient cette figure, plus leur étonnement redoublait. Pourtant, ces enfants de la forêt ne prirent pas la tour placée sur le dos de l’éléphant pour une partie de l’animal. Les chevaux, les bœufs, leur étaient familiers ; ils avaient vu des tours dans le Canada, et ils ne trouvèrent rien d’étonnant dans des bêtes de somme ; mais, par une association d’idées fort naturelle, ils supposèrent que cette sculpture indiquait que l’animal exposé à leurs regards était assez fort pour porter une tour sur son dos ; supposition qui ne diminua en rien leur admiration.