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OU LE TUEUR DE DAIMS.

— Ah ! oui vraiment, comme le savent tous ceux qui comprennent la nature des Peaux-Rouges, repartit Deerslayer ; mais l’homme qui passe de la fausse monnaie est aussi coupable que celui qui la fabrique. Avez-vous jamais connu un honnête Indien qui n’eût rejeté l’idée de vendre une peau de fouine pour de la vraie martre, ou de faire passer un blaireau pour un castor ? Je sais qu’un petit nombre de ces idoles, peut-être un seul de ces éléphants, seraient d’une grande valeur pour acheter la liberté de Thomas Hutter, mais il répugne à la conscience de passer d’aussi fausse monnaie. Peut-être aucune des tribus loin d’ici n’est-elle entièrement idolâtre ; mais il en est qui en approchent tellement, que les dons blancs devraient prendre garde de les encourager dans leur erreur.

— Si l’idolâtrie est un don, Deerslayer, et si les dons sont tels que vous semblez les croire, l’idolâtrie chez un peuple semblable peut à peine être un péché, dit Judith avec plus de finesse que de jugement.

— Dieu n’accorde de tels dons à aucune de ses créatures, Judith, répliqua sérieusement le chasseur. Il doit être adoré sous un nom ou sous un autre, et non pas comme une créature de cuivre ou d’ivoire. Il importe peu que le Père de tous soit appelé Dieu ou Manitou, Déité ou Grand-Esprit, il n’en est pas moins notre créateur et notre maître ; il n’importe pas non plus que les âmes des justes aillent en paradis ou dans quelques heureux lieux de chasse, puisqu’il peut envoyer chacun du côté qui lui convient, suivant son bon plaisir et sa sagesse ; mais mon sang se glace quand je trouve des mortels humains assez profondément plongés dans les ténèbres et l’orgueil pour fabriquer de leurs propres mains la terre, le bois ou les os en manière d’effigies immobiles et inanimées, devant lesquelles ils se prosternent, et qu’ils adorent comme des dieux.

— Après tout, Deerslayer, ces morceaux d’ivoire peuvent bien ne pas être des idoles. Je me souviens maintenant d’avoir vu à un officier un renard et des oies faits dans le même genre que ce que nous avons ici ; et voici quelque chose de dur, enveloppé dans du drap, qui peut-être appartient à vos idoles.

Deerslayer prit le paquet que lui présentait la jeune fille ; il le déroula et y trouva l’échiquier. Ainsi que les pièces, il était de grande taille, riche, et incrusté d’ébène et d’ivoire. Le chasseur rapprochant toutes ces circonstances en vint peu à peu, non sans hésiter, à adopter l’opinion de Judith, et il finit par admettre que ces idoles supposées pouvaient être les pièces curieusement travaillées de quelque jeu inconnu. Judith eut le tact d’user de sa