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OU LE TUEUR DE DAIMS.

chose. Il y a aussi un baril de poudre, à ce que j’ai appris, et il aurait certainement quelque poids ; mais pourtant, deux hommes ne peuvent être rachetés pour une bagatelle. En outre…

— En outre, quoi ? demanda Judith avec impatience, remarquant qu’il hésitait à continuer, probablement dans la crainte de l’affliger.

— Eh bien ! Judith, du côté des Français aussi bien que du nôtre, on offre des récompenses, et le prix de deux chevelures suffirait pour acheter un baril de poudre et une carabine, pas tout à fait aussi bonne peut-être que Tue-Daim, que votre père vante comme une arme extraordinaire et sans égale ; mais ils auraient de belle poudre et une carabine assez sûre. Et puis les hommes rouges ne sont pas des plus experts en fait d’armes à feu, et ils ne savent pas toujours distinguer ce qui est réel de ce qui n’en a que l’apparence.

— Cela est horrible ! murmura la jeune fille, frappée de la manière simple dont son compagnon avait coutume de présenter les faits. Mais vous oubliez mes ajustements, Deerslayer ; et ils auraient, je crois, une grande valeur aux yeux des femmes des Iroquois.

— Oui, sans doute ; oui, sans doute, Judith, reprit-il en jetant sur elle des regards perçants, comme pour s’assurer si elle serait réellement capable de faire un pareil sacrifice. — Mais êtes-vous sûre que vous aurez le courage de vous priver de vos ajustements pour un tel motif ? Bien des hommes se sont imaginé qu’ils étaient braves avant de voir le danger en face ; j’en ai connu d’autres qui se croyaient généreux, et prêts à donner ce qu’ils possédaient aux pauvres, après avoir écouté des récits d’infortunes ; mais leurs mains se fermaient comme du bois fendu, quand il fallait tout de bon en venir à donner. En outre, Judith, vous êtes belle, on pourrait même dire sans mensonge que vous êtes d’une beauté peu commune, et quand on possède la beauté, on aime à avoir ce qui lui sert de parure. Êtes-vous sûre que vous auriez le courage de vous priver de vos ajustements ?

L’allusion consolante, faite aux charmes de la jeune fille, arriva à propos pour contre-balancer l’effet produit par le doute que le jeune chasseur avait exprimé au sujet du dévouement de Judith à son devoir filial. Si un autre en avait dit autant que Deerslayer, très-probablement le compliment eût été oublié dans l’indignation que ce doute avait excitée ; mais cette rude franchise, qui si souvent exposait à nu les pensées du simple chasseur, avait de l’attrait pour