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OU LE TUEUR DE DAIMS.

— Comment dites-vous ? demanda Deerslayer en regardant son compagnon avec quelque surprise.

— Je dis : morte et coulée à fond ; et j’espère que c’est parler bon anglais. Le vieux drôle a enterré sa femme dans le lac, par manière de lui faire ses derniers adieux ; mais Tom le fit-il pour s’épargner la peine de lui creuser une fosse, ce qui n’est pas une besogne aisée au milieu des racines, ou dans l’idée que l’eau efface les péchés plus vite que la terre, c’est plus que je ne saurais dire.

— La pauvre femme en avait-elle donc commis un grand nombre pour que son mari ait pris tant de peines pour son corps ?

— Pas outre mesure, quoiqu’elle eût ses défauts. Je pense que Judith Hutter avait aussi bien vécu, et doit avoir fait une aussi bonne fin qu’aucune femme qui soit restée si longtemps sans entendre le son des cloches d’une église ; et je suppose que le vieux Tom la coula à fond autant pour s’épargner de la fatigue que pour se consoler plus vite. Il avait un peu d’acier dans le caractère ; et comme celui du vieux Hutter tient beaucoup du caillou, on voyait de temps en temps des étincelles jaillir entre eux, mais au total on pouvait dire qu’ils vivaient amicalement ensemble. Quand ils se chauffaient, ceux qui étaient présents voyaient quelque lueur se répandre sur leur vie passée, comme il arrive dans la forêt quand un rayon de soleil tombe à travers le feuillage jusqu’aux racines des arbres. Mais j’estimerai toujours Judith Hutter, car c’est une recommandation suffisante pour une femme d’avoir été la mère d’une créature comme sa fille aînée, qui porte le même nom.

— Oui, Judith est le nom que citaient les Delawares, quoiqu’ils le prononçassent à leur manière. D’après leurs discours, je crois que cette fille ne serait pas mon caprice.

— Votre caprice ! s’écria March prenant feu au ton d’indifférence et à la présomption de son compagnons. — Comment diable osez-vous parler de caprice quand il est question d’une créature comme Judith ? Vous n’êtes qu’un enfant, un arbrisseau qui a à peine pris racine. Judith a compté des hommes parmi ses amants depuis qu’elle a atteint l’âge de quinze ans, et il y en a maintenant près de cinq : elle n’aura pas envie de jeter même un regard sur un être comme vous, qui n’est encore qu’à la moitié de sa croissance.

— Nous sommes en juin, et il n’y a pas un nuage entre nous et le soleil, Hurry ; toute cette chaleur est donc inutile, répondit Deerslayer d’un ton calme ; chacun peut avoir son caprice, et un écureuil peut penser ce qu’il veut d’un chat sauvage.

— Oui, mais il ne serait pas toujours prudent que le chat sauvage