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OU LE TUEUR DE DAIMS.

haut. Pendant qu’elle était en train de la pousser loin d’elle, elle entendit de légers murmures de voix qui semblaient venir des arbres placés derrière elle. Alarmée par ce danger inattendu, Hetty fut sur le point de s’élancer de nouveau dans la pirogue, quand elle crut reconnaître le son de la voix mélodieuse de Judith. S’étant penchée en avant pour saisir les sons plus directement, elle découvrit qu’ils venaient évidemment du lac ; elle comprit alors que l’arche s’approchait du sud, et si près du rivage de l’ouest, qu’elle devait nécessairement longer la pointe, à vingt mètres de l’endroit où elle se trouvait. C’était tout ce qu’elle pouvait désirer ; la pirogue fut donc repoussée dans le lac, laissant celle qui venait de l’occuper, seule sur un étroit rivage.

Après avoir accompli cet acte de dévouement personnel, Hetty ne s’éloigna pas. Le feuillage des arbres et des buissons qui s’avançaient sur l’eau aurait presque suffi pour la cacher s’il eût fait jour ; mais dans l’obscurité qui régnait, il était absolument impossible de découvrir aucun objet ainsi abrité, à la distance de quelques pieds. La fuite d’ailleurs lui était facile, puisqu’en faisant vingt pas elle se serait enfoncée dans la forêt.

Elle resta donc occupée à épier avec une extrême anxiété le résultat de son expédient, et dans l’intention d’appeler ses amis pour attirer leur attention sur la pirogue, s’ils venaient à la dépasser sans la remarquer. L’arche s’approchait de nouveau sous sa voile ; Deerslayer se tenait sur l’avant avec Judith, et le Delaware tenait sur l’arrière l’aviron-gouvernail. Suivant toute apparence, l’arche, une fois arrivée dans la baie située plus bas, avait longé de trop près le rivage, dans un reste d’espoir d’intercepter la fuite de Hetty ; car elle entendit distinctement, au moment où l’arche s’approchait davantage, l’ordre que le jeune chasseur, placé sur l’avant, donnait à son ami de doubler la pointe.

— Le cap plus au large, Delaware ! s’écria pour la troisième fois Deerslayer en parlant anglais, afin que sa belle compagne pût comprendre ses paroles ; éloignez-vous du rivage. Nous sommes ici trop près de la terre, et il faut prendre garde que le mât ne s’engage dans les arbres. Judith, voici une pirogue ! — Ces derniers mots furent prononcés avec vivacité, et la main de Deerslayer se trouva sur sa carabine avant qu’ils fussent achevés. Mais la vérité se fit jour dans l’esprit vif et intelligent de la jeune fille, et à l’instant même elle dit à son compagnon que cette pirogue devait être celle dans laquelle sa sœur avait fui.

— Gouvernez en ligne droite, Delaware, s’écria celui-ci, aussi