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DEERSLAYER
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pendant passant rapidement sur le tout avec modestie, et évitant avec soin de se vanter comme le font ordinairement les Indiens. Chingachgook exprima de nouveau sa satisfaction de la victoire remportée par son ami ; puis ils se levèrent tous deux, car à l’heure qu’il était il devenait prudent d’éloigner l’arche à une plus grande distance de la terre.

Il faisait tout à fait sombre en ce moment ; le ciel s’était couvert de nuages, et les étoiles étaient cachées. Le vent du nord avait cessé, comme d’ordinaire, au coucher du soleil, et une légère brise s’élevait du sud. Comme ce changement favorisait les desseins de Deerslayer, il leva son grappin, et l’arche commença aussitôt, et d’une manière tout à fait sensible, à dériver plus avant dans le lac. La voile fut établie, et alors la vitesse du scow augmenta de près de deux milles par heure.

De cette façon, comme il était inutile de ramer, sorte d’occupation peu goûtée d’un Indien, Deerslayer, Chingachgook et Judith s’assirent à l’arrière de l’esquif, dont le premier dirigea les mouvements en tenant l’aviron qui servait de gouvernail. Là, ils s’entretinrent de leurs desseins futurs, et des moyens à employer pour parvenir à délivrer leurs amis.

Judith prit part à cet entretien. Le Delaware comprenait aisément tout ce qu’elle disait, et ses réponses et ses remarques, rares mais énergiques, étaient de temps à autre traduites en anglais par son ami. Judith gagna beaucoup dans l’esprit de son compagnon durant la demi-heure qui suivit. Prompte dans ses résolutions et ferme dans ses projets, ses avis et ses expédients se ressentaient de son ardeur et de sa sagacité, qualités qui toutes deux étaient de nature à trouver faveur auprès d’habitants de la frontière. Les événements qui s’étaient passés depuis leur rencontre, aussi bien que sa position dépendante et isolée, portèrent la jeune fille à considérer Deerslayer comme un ancien ami plutôt que comme une connaissance de la veille ; et elle avait été tellement séduite par la franche candeur de son caractère et de ses sentiments, chose tout à fait nouvelle pour elle dans notre sexe, que les bizarreries de son ami avaient piqué sa curiosité, et fait naître en elle une confiance que jamais aucun autre homme n’avait éveillée. Jusqu’à ce jour, elle avait été forcée de se tenir sur la défensive dans ses rapports avec les hommes ; — avec quel succès, — c’est ce qu’elle savait mieux que personne ; mais elle venait d’être jetée dans la société et sous la protection d’un jeune homme qui, évidemment, n’avait pas plus de mauvais desseins sur elle que s’il eût été son frère. La pu-