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DEERSLAYER

vue. Si les vagabonds ruminent quelques mauvais desseins contre nous, ils sont trop malins pour le laisser voir. Il est vrai qu’ils peuvent préparer un radeau dans l’intérieur du bois, quoiqu’ils ne l’aient pas encore transporté sur les bords du lac. Ils ne peuvent deviner que nous sommes sur le point de quitter le château, et quand même ils le devineraient, ils n’ont aucun moyen de savoir où nous voulons aller.

— Cela est si vrai, Deerslayer, dit Judith, qu’à présent que tout est prêt, nous ferons bien de partir sur-le-champ hardiment et sans aucune crainte, sans quoi nous arriverons trop tard.

— Non, non. L’affaire exige quelque adresse ; car quoique les sauvages ne sachent rien de Chingachgook, ni de mon rendez-vous avec lui près du rocher, ils ont des yeux et des jambes. Ils verront de quel côté nous avançons, et ils ne manqueront pas de nous suivre. Mais je tâcherai de leur tailler des croupières, en tournant le cap du scow tantôt d’un côté, tantôt de l’autre, jusqu’à ce que leurs jambes se fatiguent et qu’ils se lassent de courir après nous.

Deerslayer exécuta ce projet aussi bien qu’il le pouvait, et en moins de cinq minutes l’arche fut mise en mouvement. Un vent léger venait du nord ; et ayant établi sa voile, il plaça le cap du scow de manière à aborder plus bas sur la rive orientale du lac, à environ deux milles du château. L’arche n’était jamais bonne voilière, quoique, flottant sur la surface du lac, il ne fut pas difficile de la mettre en mouvement, et de lui faire faire trois ou quatre milles par heure. Le rocher était à un peu plus de deux lieues du château ; et connaissant la ponctualité des Indiens, Deerslayer avait fait ses calculs très-exactement, et avait pris un peu plus de temps qu’il ne lui en fallait pour gagner son rendez-vous, de manière à pouvoir retarder ou accélérer son arrivée, comme les circonstances pourraient l’exiger. Quand il avait établi sa voile, le soleil était encore bien au-dessus de la cime des montagnes de l’occident, élévation qui lui promettait encore plus de deux heures de jour, et quelques minutes le convainquirent que le scow faisait route avec autant de vitesse qu’il s’y était attendu.

C’était une glorieuse après-midi d’été, et jamais cette nappe d’eau solitaire n’avait moins ressemblé à une arène sur laquelle peut bientôt couler le sang des combattants. La brise légère descendait à peine jusqu’au niveau du lac, et elle en effleurait la surface comme si elle eût craint d’en troubler la tranquillité. Les bois mêmes semblaient sommeiller sous les rayons du soleil, et quelques légers nuages, immobiles depuis plusieurs heures à l’horizon orien-