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DEERSLAYER

vouement qu’il lui montrait, ainsi qu’à sa sœur, ses manières simples et franches et sa véracité imperturbable, s’étaient rapidement emparées de son imagination et de son affection. Quoique les heures parussent longues sous quelques rapports à Deerslayer, Judith les trouva bien courtes, et quand le soleil commença à descendre vers la cime couverte de pins des montagnes de l’occident, elle exprima sa surprise que le jour fût déjà si près de sa fin. De son côté, Hetty était sérieuse et gardait le silence. Il est vrai qu’elle ne parlait jamais beaucoup, et quand il lui arrivait d’être plus communicative, c’était par suite de quelque incident qui donnait à son esprit une effervescence temporaire ; mais dans le cours de cette journée importante, il se passa plusieurs heures de suite pendant lesquelles elle parut avoir tout à fait perdu l’usage de sa langue. Du reste, l’inquiétude pour leur père n’influa pas beaucoup sur les manières d’aucune des deux sœurs. Ni l’une ni l’autre ne paraissait craindre sérieusement pour lui un plus grand malheur que la captivité ; et il arriva même à Hetty, dans un de ces rares instants où elle rompait le silence, d’exprimer l’espoir que Hutter trouverait le moyen de se remettre en liberté. Quoique Judith ne partageât pas cette espérance, elle énonça celle que les Indiens leur feraient des propositions de rançon quand ils verraient que le château bravait leur astuce et tous leurs expédients. Mais Deerslayer regarda les opinions des deux sœurs à ce sujet comme des idées mal digérées, et continua à faire ses arrangements avec autant de soin et à s’occuper de l’avenir aussi sérieusement que si elles ne les lui eussent pas communiquées.

Enfin l’heure arriva où il était nécessaire qu’il partît pour le rendez-vous qu’il avait avec le Mohican, ou le Delaware, comme on appelait plus communément Chingachgook. Comme le plan avait été mûri par Deerslayer et communiqué par lui à ses deux compagnes, tous trois se mirent à l’exécuter de concert et avec intelligence. Hetty passa dans l’arche, et attachant ensemble deux des pirogues, elle descendit sur l’une d’elles, prit les rames et les fit passer par une porte pratiquée dans les palissades qui entouraient la maison. Elle les amarra ensuite sous le bâtiment avec des chaînes dont l’extrémité était attachée dans l’intérieur de l’édifice. Ces palissades étaient des troncs d’arbres profondément enfoncés dans le banc dont il a déjà été parlé, et elles servaient, tant à former un petit enclos destiné à cet usage qu’à tenir à une certaine distance tout ennemi qui pourrait s’approcher dans une pirogue. Des pirogues placées dans cette espèce de bassin étaient presque cachées