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DEERSLAYER

ployaient souvent ; bon ! jeune tête, et jeune cœur aussi. Vieux cœur endurci, plus de larmes. Indien à sa mort, pas de mensonge. — Votre nom ?

— Deerslayer est celui que je porte à présent, mais les Delawares m’ont dit que, lorsque j’aurai marché sur le sentier de guerre, j’en aurai un autre plus digne d’un homme, si je l’ai mérité.

— Deerslayer, bon nom pour un enfant, pauvre nom pour un guerrier. — Un meilleur avant peu ; pas de crainte de cela. — L’Indien eut encore la force de soulever un bras et de toucher la poitrine du jeune chasseur. — L’œil sûr, la main un éclair ; point de mire, la mort. Grand guerrier bientôt. Non Deerslayer, non ; Hawkeye, Hawkeye[1]. La main !

Deerslayer, ou Hawkeye, comme l’Indien venait de l’appeler pour la première fois, car il porta ce nom par la suite dans tout ce pays, prit la main du sauvage, qui rendit le dernier soupir en regardant avec un air d’admiration un étranger qui avait montré tant de sang-froid, d’adresse et de fermeté dans toute cette scène. Si le lecteur se rappelle que la plus grande satisfaction que puisse éprouver un Indien, c’est de voir son ennemi montrer de la faiblesse, il en appréciera mieux la conduite qui avait extorqué à celui-ci une si grande concession à l’instant de sa mort.

— Son esprit a pris son vol, dit Deerslayer d’un ton mélancolique. Hélas ! c’est à quoi il faut que nous arrivions tous plus tôt ou plus tard ; et le plus heureux, n’importe quelle soit la couleur de sa peau, est celui qui est le plus en état de voir la mort en face. Voici le corps d’un brave guerrier sans doute, et son âme est déjà sur le chemin de son ciel, soit que ce soit une forêt giboyeuse ou des bois dépourvus de tout gibier, ou, suivant la doctrine des frères Moraves, une région de gloire ou de flammes dévorantes. Et d’un autre côté, voilà le vieux Hutter et Hurry Harry qui se sont mis dans l’embarras et exposés à la torture et à la mort pour gagner une prime que ma bonne fortune place sur mon chemin d’une manière que bien des autres trouveraient légale et convenable. Mais pas un farthing de pareil argent ne me souillera jamais la main. Blanc je suis né et blanc je mourrai, tenant à ma couleur jusqu’à la fin, quand bien même le roi, ses gouverneurs et tous ses conseillers, tant en Europe que dans les colonies, oublieraient d’où ils viennent et où ils espèrent aller, et tout cela pour un faible avantage dans la guerre. Non, non, guerrier, ma main ne touchera pas à votre

  1. Œil-de-Faucon.