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DEERSLAYER

— Non, non, Peau-Rouge, lui dit-il, vous n’avez rien de plus à craindre de moi ; je suis de race chrétienne, et scalper n’est pas un de mes dons. Je vais m’assurer de votre mousquet, et je reviendrai vous rendre tous les services que je pourrai, quoique je ne puisse rester ici longtemps, car le bruit de trois coups de feu peut faire tomber sur moi quelques-uns de vos démons.

Cette dernière phrase fut une sorte de soliloque qu’il prononça en allant chercher le mousquet du sauvage. Il le trouva dans le buisson d’où l’Indien avait tiré, le porta dans sa pirogue, y laissa aussi sa carabine, et retourna près du blessé.

— Nous ne sommes plus ennemis, Peau-Rouge, lui dit-il, et vous pouvez être sans crainte pour votre chevelure ou toute autre chose. Les dons que m’a faits le ciel sont blancs, comme je vous l’ai dit, et j’espère que ma conduite sera blanche aussi.

Si Deerslayer avait pu comprendre tout ce que signifiaient les regards de l’Indien, il est probable que la vanité innocente que lui inspirait sa couleur n’aurait pas été très-satisfaite ; mais il vit la reconnaissance qu’exprimaient les yeux du mourant, sans s’apercevoir de l’air de sarcasme qui s’y mêlait.

— De l’eau, s’écria le moribond, de l’eau pour le pauvre Indien !

— Oui, vous aurez de l’eau, quand vous devriez mettre le lac à sec. Je vais vous porter sur ses bords, et vous pourrez boire tant que vous voudrez. On dit qu’il en est de même de tous les blessés ; l’eau est leur plus grande consolation.

En parlant ainsi, il leva l’Indien dans ses bras et le porta sur les bords du lac, ayant soin de l’y placer de manière qu’il put apaiser sa soif brûlante. Il s’assit ensuite près du blessé, dont il appuya la tête sur ses genoux, et dont il chercha de son mieux à adoucir les angoisses.

— Ce serait péché, guerrier, lui dit-il, si je vous disais que votre temps n’est pas encore venu, et par conséquent je ne vous le dirai pas. Vous avez déjà passé le milieu de la vie, et vu la manière dont vous vivez, vous autres, vos jours ont été assez bien remplis. La principale chose pour vous, à présent, c’est de songer à ce qui vient ensuite. Au total, ni les Peaux-Rouges, ni les Faces-Pâles ne comptent beaucoup s’endormir pour toujours. Les uns comme les autres s’attendent à vivre dans un autre monde. Chacun de nous a reçu ses dons du ciel, et sera jugé en conséquence. Je suppose que vous avez pensé à cela assez souvent pour ne pas avoir besoin de sermons, à l’instant où votre jugement va être prononcé. Si vous avez bien rempli vos devoirs d’Indien, vous irez chasser dans des