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OU LE TUEUR DE DAIMS.

tirent en même temps, et que les échos des montagnes ne répétèrent qu’une seule détonation. Deerslayer resta la tête levée, droit comme un pin, et attendit le résultat. Le sauvage poussa un cri effroyable, fit un bond au-dessus du buisson, et courut dans l’espace découvert en brandissant un tomahawk. Deerslayer demeura immobile, sa carabine appuyée sur une épaule, et sa main cherchant machinalement sa poire à poudre. Quand il fut à environ quarante pieds de son ennemi, l’Indien lui lança son tomahawk ; mais ce fut d’un œil si peu sûr et d’une main si faible, que le jeune chasseur saisit cette arme par le manche pendant qu’elle passait à son côté. En ce moment, les forces de l’Indien l’abandonnèrent ; il chancela, et tomba par terre.

— Je le savais, je le savais ! s’écria Deerslayer, qui se préparait à mettre une autre balle dans sa carabine. Oui, je savais ce qui en arriverait du moment où j’ai vu à quelle portée étaient les yeux de cette créature ; il ne faut pas longtemps à un homme pour prendre son point de mire et faire feu, quand sa propre vie est en danger. Je l’ai prévenu peut-être de la centième partie d’une seconde, sans quoi j’en aurais été mauvais marchand, car la balle de ce reptile m’a effleuré le côté. Mais qu’on dise tout ce qu’on voudra pour ou contre, une Peau-Rouge, avec sa poudre et ses balles, n’a jamais son coup aussi sûr qu’un homme blanc. Non, non, ce n’est pas là un de leurs dons. Chingachgook lui-même, malgré toutes ses grandes qualités, a quelquefois manqué son coup.

En parlant ainsi, il avait rechargé sa carabine, et après avoir jeté le tomahawk dans sa pirogue, il s’approcha de l’Indien, et resta debout près de lui, le regardant avec une attention mélancolique. C’était la première fois qu’il voyait un homme mourir en combattant, c’était le premier de ses semblables contre lequel il avait jamais levé la main. Les sensations qu’il éprouvait étaient nouvelles pour lui, les sentiments les plus doux de la nature humaine étaient encore frais dans son cœur, et le regret se mêla à la joie du triomphe. L’Indien n’était pas mort, quoiqu’il eût le corps percé de part en part. Il était étendu sur le dos sans mouvement ; mais ses yeux, indiquant qu’il avait toute sa connaissance, suivaient tous les mouvements de son vainqueur, comme l’oiseau pris au piège regarde l’oiseleur ; il attendait sans doute le coup fatal qui devait précéder l’enlèvement de sa chevelure, ou peut-être pensait-il que cet acte de cruauté aurait lieu avant sa mort. Deerslayer lut dans ses pensées, et il trouva une satisfaction mélancolique à bannir les craintes du sauvage mourant.