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DEERSLAYER

des hommes blancs, et je ne suis pas de ceux qui croient faire un grand exploit en tuant un de leurs semblables dans les bois.

L’Indien fut très-surpris en voyant tout à coup le danger qu’il courait. Il savait un peu d’anglais, et il comprit à peu près ce que lui disait le jeune chasseur. Mais il était trop prudent pour montrer aucune alarme, et appuyant la crosse de son mousquet sur la terre, avec un air de confiance, il fit un geste indiquant une politesse mêlée de fierté, avec le calme et l’aisance d’un homme habitué à ne pas reconnaître de supérieur. Mais, au milieu de cette affectation de sang-froid, le volcan qui était en éruption dans son cœur faisait étinceler ses yeux, et dilatait ses narines comme celles d’un animal féroce arrêté par quelque obstacle à l’instant où il va faire le bond fatal pour s’élancer sur sa proie.

— Deux pirogues, dit-il du ton guttural de sa race, en levant deux doigts pour qu’il n’y eût pas de méprise ; une pour vous — une pour moi.

— Non, non, Mingo, cela ne se peut pas. Ni l’une ni l’autre n’est à vous, et vous n’aurez ni l’une ni l’autre tant que je pourrai l’empêcher. Je sais que votre nation et la mienne sont en guerre ; mais ce n’est pas une raison pour que deux hommes qui se rencontrent veuillent se tuer l’un l’autre, comme les bêtes sauvages qui habitent les bois. Allez à vos affaires, et laissez-moi faire les miennes ; la forêt est assez grande pour tous deux. Si nous nous rencontrons dans une bataille, alors Dieu décidera du sort de chacun de nous.

— Bon ! s’écria l’Indien. — Mon frère missionnaire. — Longue harangue, — toujours sur le grand Manitou.

— Non, non, guerrier. — Je ne suis pas digne d’être frère Morave, et je n’aimerais pas qu’on me prît pour un de ces autres vagabonds qui se mêlent de prêcher dans les bois. Non, je ne suis qu’un chasseur quant à présent, quoiqu’il y ait toute apparence qu’avant que la paix soit faite, ma carabine aura occasion de s’exercer contre votre nation. Cependant je désire que ce soit en combat légitime, et non pour une querelle sur la propriété d’une misérable pirogue.

— Bon ! — Mon frère fort jeune, mais fort sage. — Petit guerrier, — grand orateur. — Un chef dans le conseil.

— Je n’en sais rien et je ne le dis pas, Mingo, répliqua Deerslayer en rougissant de dépit du sarcasme mal déguisé de l’Indien. J’ai dessein de passer ma vie dans les bois, et je désire qu’elle s’y passe en paix. Tous les jeunes gens doivent marcher sur le sentier de guerre quand l’occasion l’exige ; mais le massacre n’est pas la guerre ; j’en ai vu assez cette nuit même pour savoir que la Provi-