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OU LE TUEUR DE DAIMS.

une balle couverte de peau dans le canon de son mousquet. Rien ne lui eût été plus facile que de se précipiter sur lui, et de l’attaquer avant qu’il fût prêt à le recevoir ; mais la générosité de Deerslayer se révolta à l’idée d’assaillir un homme sans défense, quoique l’Indien eût voulu le tuer sans se mettre à découvert. Il n’avait pas encore acquis l’expérience des expédients féroces adoptés par les sauvages dans leurs guerres, qu’il ne connaissait que par tradition et par théorie, et il pensa que c’était profiter d’un injuste avantage que d’attaquer un ennemi non armé. La couleur de ses joues avait pris une teinte plus foncée, il avait les sourcils froncés et les lèvres serrées, toutes ses forces et son énergie étaient réunies ; mais, au lieu de s’avancer pour tirer, il baissa sa carabine, et la tint dans la position que lui donne un chasseur qui attend l’instant de prendre son point de mire, en se disant à lui-même, presque sans savoir qu’il parlait :

— Non, non ; cela peut être bon dans une guerre de Peau-Rouge, mais cela ne fait point partie des dons accordés à un chrétien. Que le mécréant charge son mousquet, et alors nous combattrons comme des hommes ; car il ne faut pas qu’il ait la pirogue, et il ne l’aura pas. Non, non, laissons-lui le temps de charger son arme, et la justice de Dieu fera le reste.

Pendant tout ce temps, l’Indien avait été tellement occupé de ses propres projets, qu’il ne savait même pas que son ennemi fût entré dans le bois. Sa seule crainte était que l’homme blanc ne s’emparât de la pirogue ; et ne l’emmenât avant qu’il fût prêt à l’en empêcher. Il avait cherché un couvert par habitude, mais il n’était qu’à quelques toises de la frange des buissons, et en un instant il pouvait être hors de la forêt et prêt à faire feu. En ce moment, il se trouvait à environ vingt-cinq toises de son ennemi, et la nature avait tellement arrangé les arbres qu’il n’en existait aucun qui arrêtât la vue entre les deux derrière lesquels chacun d’eux était placé.

Dès qu’il eut chargé son mousquet, le sauvage regarda autour de lui, et s’avança avec beaucoup de précautions pour que son ennemi ne pût le voir de l’endroit où il le supposait, mais se montrant complètement à lui dans la position où celui-ci se trouvait réellement. Alors Deerslayer sortit de derrière son arbre.

— Par ici, Peau-Rouge, par ici, s’écria-t-il, si c’est moi que vous cherchez. Je suis jeune en fait de guerre, mais pas assez pour rester sur un rivage découvert, en plein jour, pour être abattu par une balle comme un hibou. Il dépend de vous que nous soyons en paix ou en guerre, car les dons que le ciel m’a accordés sont ceux