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DEERSLAYER

mit debout sur sa pirogue, donna quelques vigoureux coups de rames pour imprimer à son esquif l’impulsion nécessaire pour le porter jusqu’à la terre, et quitta rapidement l’instrument du travail pour prendre celui de la guerre. Il levait sa carabine quand une détonation subite fut suivie du sifflement d’une balle qui passa si près de lui qu’il tressaillit involontairement. Au même instant, le jeune chasseur eut l’air de chanceler, et tomba ensuite de son long au fond de la pirogue. Un cri perçant poussé par une seule voix s’ensuivit, et un Indien, sortant des buissons, courut en bondissant sur la pointe vers la pirogue. C’était ce que Deerslayer attendait. Il se releva sur-le-champ, dirigea sa carabine vers son ennemi qui était à découvert ; mais sa main hésita à lâcher son coup contre un homme sur lequel il avait tant d’avantage. Ce petit délai sauva probablement pour le moment la vie de l’Indien, qui s’enfuit vers les buissons avec la même vitesse qu’il en était sorti. Pendant ce temps, la pirogue approchait du rivage, et y toucha à l’instant où l’Indien disparut. Comme le mouvement de sa nacelle n’avait pas été dirigé, elle se trouvait à quelques toises de l’endroit où l’autre pirogue avait abordé, et quoique le sauvage eût à recharger son mousquet, Deerslayer n’avait pas le temps d’aller s’en assurer, et de la conduire hors de portée, avant d’être exposé à un autre coup de feu. Il sauta donc à terre sans hésiter, et entra dans le bois pour y chercher un couvert.

Le bord de la pointe était un espace découvert, de peu d’étendue, et terminé par une frange épaisse de buissons. Après avoir traversé cette étroite ceinture de végétation d’un ordre inférieur, on entrait sous la voûte sombre de la forêt. Le sol y était presque de niveau sur une centaine de toises, après quoi il s’élevait tout à coup et formait la rampe d’une montagne escarpée. Les arbres qui croissaient entre les buissons et la montagne étaient d’une grosseur proportionnée à leur taille élevée, et comme il ne se trouvait pas de broussailles entre eux, les troncs ressemblaient à de hautes colonnes irrégulièrement placées et soutenant un dôme de feuillage. Quoiqu’ils ne fussent pas très-éloignés les uns des autres, vu leur âge et leur grandeur, l’œil pouvait pénétrer entre eux jusqu’à une assez grande distance, et deux corps ennemis auraient pu se livrer un combat sous leur ombre et s’entendre pour concerter leurs mouvements.

Deerslayer savait que son ennemi, à moins qu’il n’eût pris la fuite, devait être occupé à recharger son mousquet. Effectivement, dès qu’il se fut placé derrière un arbre, il aperçut un bras de l’Indien, dont tout le corps était caché par un gros chêne, enfoncer