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— Ce langage pique ma curiosité, mon père. Qu’est donc cet homme ? Qui est-il ?

— Une énigme que ni mes prières à la sainte Vierge, ni la science du cloître, ni le désir ardent d’arriver à la vérité, n’ont pu me mettre en état de deviner. — Viens ici, Luis ; nous pouvons nous asseoir sur ce rebord de rocher, et je te dirai quelles sont les opinions qui rendent cet homme si extraordinaire. Il faut que tu saches, mon fils, qu’il y a maintenant sept ans qu’il s’est montré parmi nous pour la première fois. Il demandait à être employé à faire des découvertes, et il prétendait qu’en avançant sur l’Océan vers l’occident jusqu’à une distance immense et inouïe, il arriverait aux Indes, à la grande île de Cipango, et au royaume de Cathay, dont un certain Marco-Polo nous a laissé quelques légendes fort extraordinaires.

— Par saint Jacques, de bienheureuse mémoire ! s’écria don Luis en riant, il faut qu’il ait perdu l’esprit. Comment pourrait-il y réussir, à moins que la terre ne fût ronde ? Nous avons les Indes à l’orient et non à l’occident.

— On lui a fait souvent cette objection ; mais il a des réponses toutes prêtes à des arguments plus puissants.

— Peut-on en trouver un plus fort ? Nos yeux nous disent que la terre est plate.

— C’est en quoi son opinion diffère de celle de la plupart des hommes ; et pour avouer la vérité, mon fils, ce n’est pas sans quelque apparence de raison. C’est un navigateur, comme tu l’avais deviné, et il répond que, sur l’Océan, quand on voit un navire de très-loin, on n’aperçoit d’abord que les voiles hautes, et qu’à mesure qu’il approche, on distingue les voiles basses, et enfin le bâtiment tout entier. — Mais tu as été sur mer, et tu as dû remarquer quelque chose de semblable.

— Cela est vrai, mon père. Tandis que nous montions la mer d’Angleterre, nous rencontrâmes un beau croiseur du roi, et, comme vous le disiez, nous ne vîmes d’abord que la plus haute voile, formant un point blanc sur l’eau. Les autres voiles se montrèrent ensuite l’une après l’autre, et enfin nous vîmes un navire gigantesque armé de bombardes et de canons, — au nombre de vingt, tout au moins.

— Tu es donc d’accord avec lui, et tu crois que la terre est ronde ?