CHAPITRE XI.
e lecteur ne doit pas supposer que toute l’Europe eût les yeux
ouverts sur nos aventuriers. La vérité et le mensonge, compagnons
inséparables, à ce qu’il paraît, n’étaient point alors répandus
sur toute la terre, au moyen des journaux, avec une
promptitude intéressée. Il n’y avait qu’un petit nombre de favoris
du ciel qui apprenaient de bonne heure la nouvelle d’entreprises
semblables à celles dont Colomb s’occupait alors. Luis de Bobadilla
s’était donc retiré de la cour sans qu’on y fît attention, et
ceux qui s’aperçurent de son absence supposèrent qu’il était parti
pour aller dans un de ses domaines, ou qu’il avait commencé un
autre de ces voyages de fantaisie qu’on regardait comme une dérogation
à son rang de chevalier, et comme indignes de sa naissance.
Quant au Génois, à peine s’aperçut-on de son départ, quoique
les courtisans sussent en général qu’Isabelle avait pris avec lui
quelques arrangements qui donnaient à cet aventurier un rang
plus élevé et de plus grands avantages que ses services futurs
ne le mériteraient probablement jamais. Les autres de ses compagnons
étaient trop peu connus pour attirer beaucoup d’attention,
et ils étaient partis, chacun de son côté, pour la côte, sans
que personne s’inquiétât de leurs mouvements, hors du cercle
étroit de leurs connaissances. Et cette expédition, si audacieuse
dans son but, si importante dans ses résultats, n’était pas destinée
à partir d’un des premiers ports de l’Espagne ; l’ordre de
fournir les moyens de départ nécessaires avait été envoyé à un
port d’une importance tout à fait secondaire, et qui ne semblait
avoir d’autre recommandation pour ce service particulier que de