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mieux pour la Castille les chasser de Grenade. Cette distinction est claire, et tout bon, casuiste doit l’admettre.

— Cette vérité est aussi évidente pour notre raison, dit Ferdinand en regardant par une croisée avec un air de satisfaction, qu’il est clair que ces tours appartenaient à Abdallah il y a quelques jours, et que nous en sommes maîtres aujourd’hui.

— Il vaut mieux pour la Castille, répéta Isabelle du ton de quelqu’un qui réfléchit ; — peut-être oui pour ses intérêts temporels, peut-être non pour les âmes de ceux qui y travaillent, mais certainement non pour la gloire de Dieu !

— Ma chère épouse ! ma bien-aimée Isabelle ! dit Ferdinand.

— Señora ! ajouta le prélat.

Mais Isabelle se retira à pas lents, réfléchissant à ces principes, tandis que les yeux des deux mondains qu’elle laissait derrière elle se rencontraient avec cette sorte de franc-maçonnerie à l’usage de ceux qui sont portés à préférer ce qui est utile à ce qui est juste. La reine n’alla pas reprendre sa place ; elle se promena dans la partie de la salle que l’archevêque avait quittée quand Ferdinand l’avait appelé. Elle y resta seule plusieurs minutes, le roi lui-même ayant trop de respect pour elle pour l’interrompre dans ses réflexions. Elle jeta plusieurs fois les yeux sur Mercédès, et finit par l’appeler auprès d’elle.

— Ma fille, lui dit-elle, car elle donnait souvent ce nom d’affections à celles qu’elle aimait, vous n’avez sans doute pas oublié le vœu que vous avez fait volontairement ?

— Mes devoirs envers Dieu passent seuls avant ce que je dois à ma souveraine.

Mercédès prononça ces mots avec fermeté, et de ce ton qui trompe rarement. Isabelle fixa ses yeux sur les traits pâles de la belle Castillane, et quand celle-ci eut ainsi parlé, une tendre mère n’aurait pu regarder une fille chérie avec plus d’affection.

— Vos devoirs envers Dieu, ma fille, laissent dans l’ombre tout autre sentiment, et cela doit être. Ce que vous me devez n’est qu’au second rang. Cependant, vous et tous mes autres sujets vous avez un devoir solennel à accomplir envers votre souveraine, et je ne serais pas propre à remplir les hautes fonctions dont le ciel m’a chargée, si je n’exigeais pas que chacun s’acquittât de cette obligation. Ce n’est pas moi qui règne en Castille ; c’est la Providence, dont je ne suis que l’humble et indigne instrument. Mes sujets sont mes enfants ; et je demande souvent à Dieu