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des nageurs, le remuement de leurs bras, et les appels qu’ils se faisaient les uns aux autres annoncèrent bientôt que les quatre Indiens qui avaient joint le premier étaient dans le canal. Dès qu’il en fut certain, le Grand-Serpent releva la tête, reprit son ancienne place, et commença à croire que le moment d’agir était arrivé.

Un homme moins habitué à se maîtriser lui-même que ce vieux guerrier, aurait probablement alors frappé le coup qu’il méditait. Mais il pensa qu’il pouvait rester encore des Iroquois dans le rapide, et il avait trop d’expérience pour risquer quelque chose sans nécessité. Il laissa l’Indien qui était à l’avant de la pirogue la tirer en pleine eau, et tous trois se mirent alors à la nage, en se dirigeant vers la rive orientale. Mais au lieu d’aider la pirogue à couper le courant en ligne droite, dès que Chingashgook et Jasper furent arrivés à l’endroit où le courant avait le plus de force, ils cherchèrent à imprimer à l’esquif un mouvement en ligne oblique, afin de retarder sa course. Ils ne le firent pas tout d’un coup, avec l’imprudence qu’aurait probablement eue un homme civilisé qui aurait eu recours à cette ruse ; mais ce fut avec une lenteur et une circonspection qui firent croire d’abord à l’Iroquois qui était à l’avant, qu’il n’avait à lutter que contre la violence du courant. Tandis qu’ils exécutaient cette manœuvre, la pirogue allait en dérivant, et, au bout d’une minute, elle se trouva par une eau encore plus profonde au bord du rapide. L’Iroquois s’aperçut enfin alors que quelque chose d’extraordinaire retardait la marche de la pirogue. Il se retourna tout à coup, et il vit que la résistance qu’il éprouvait était causée par les efforts de ses compagnons.

Cette seconde nature qui doit sa naissance à l’habitude, apprit sur-le-champ à l’Iroquois qu’il était seul avec deux ennemis. Fendant l’eau avec rapidité, il serra d’une main le gosier de Chingashgook, et les deux Indiens, abandonnant la pirogue, se saisirent l’un et l’autre comme des tigres. Au milieu des ténèbres, et flottant dans un élément si dangereux pour l’homme, quand il est aux prises avec un ennemi, ils semblaient avoir tout oublié, si ce n’est leur animosité mutuelle et le désir qu’avait chacun d’eux de triompher de l’autre.

Jasper était alors maître de la pirogue, qui volait sur l’eau comme une plume poussée par le vent. Sa première idée fut d’aller à la nage au secours du Mohican ; mais l’importance de s’assurer de la pirogue se présenta alors à son esprit, quoiqu’il entendît