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LE LAC ONTARIO.

cade et d’une surprise pour ne pas s’approcher à pas lents et avec précaution ; et par suite du délai qui résulte de toutes ces causes combinées, les deux troupes d’Indiens étaient déjà à cinquante ou soixante toises en avant, quand il fut assez près du buisson pour le toucher.

Malgré leur situation critique, les fugitifs avaient les yeux fixés sur la physionomie agitée du jeune Iroquois, dont le cœur était alors partagé par des sentiments bien différents. D’abord il était enflammé de l’espoir d’obtenir un succès que n’avaient pu remporter quelques-uns des guerriers les plus expérimentés de sa tribu, et de s’assurer une gloire qui avait été rarement le partage d’un Indien de son âge, ou d’un guerrier dans sa première expédition. Venaient ensuite les doutes, car un vent léger relevait les feuilles penchées, et elles semblaient avoir repris leur fraîcheur. Enfin la crainte de quelque danger caché n’était pas sans influence, et se peignait aussi sur ses traits. Le changement que la chaleur avait produit sur les feuilles des branches dont le bout était enfoncé sous l’eau, était si léger, qu’en les touchant avec la main, il s’imagina avoir été trompé. Enfin voulant sortir de doute, il écarta deux branches, fit un pas en avant, et vit devant lui les fugitifs, semblables à autant de statues. Il tressaillit, ses yeux brillèrent, mais il n’eut pas le temps de pousser un cri ; Chingashgook avait déjà levé son tomahawk, et il le fit tomber sur sa tête avec une force terrible. L’Iroquois leva les mains, fit un saut en arrière, et tomba dans l’eau dans un endroit où le courant l’emporta, tandis qu’il se débattait encore dans l’agonie de la mort. Le Delaware fit un vigoureux effort pour lui saisir un bras, afin de s’emparer de sa chevelure, mais il n’y put réussir, et les eaux entraînèrent le cadavre qui les ensanglantait.

Tout cela se passa en moins d’une minute, et ces événements furent si soudains et si inattendus, que des hommes moins habitués que Pathfinder et ses compagnons à la guerre des forêts, n’auraient su ce qu’ils devaient faire.

— Il n’y a pas un moment à perdre, — dit Jasper en arrachant les branches, et parlant avec vivacité, quoique à demi-voix. Faites comme moi, maître Cap, si vous voulez sauver votre nièce ; et vous, Mabel, couchez-vous au fond du canot.

À peine avait-il prononcé ces mots, qu’il sauta dans la rivière et saisit l’avant du léger esquif pour le tirer en pleine eau, tandis que Cap le poussait par-derrière, mais côtoyant le rivage d’as-