Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 17, 1840.djvu/466

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

que Jasper la serrait contre son cœur. — Que Dieu vous bénisse, cher Pathfinder ! Vous reviendrez près de nous, — nous vous reverrons encore ; — lorsque vous serez vieux, vous viendrez dans notre demeure, et je serai une fille pour vous.

— Oui, c’est cela, — répondit le guide respirant à peine, j’essaierai de penser à vous, ainsi ; vous étiez plutôt faite pour être ma fille que ma femme. Adieu, Jasper, nous allons nous rendre au canot, il est temps que vous arriviez à bord.

Pathfinder ouvrit la marche d’un air calme et solennel. Aussitôt qu’il eut atteint le canot, il prit de nouveau les deux mains de Mabel et tendant les bras devant lui, il la tint à un pas de distance, regardant attentivement son visage, jusqu’à ce que des larmes involontaires, s’échappant de son cœur, vinssent couler par terre le long de ses joues.

— Donnez-moi votre bénédiction, Pathfinder, — dit Mabel en s’agenouillant avec respect devant lui ; — donnez-la-moi avant que nous nous séparions !

L’homme simple de la nature, mais si noble d’esprit, fit ce que la jeune fille désirait, puis il l’aida à entrer dans le canot, et parut s’arracher d’elle avec le plus pénible effort. Avant de se retirer, il prit Jasper sous le bras ; le conduisant un peu à l’écart, il lui parla de la manière suivante :

— Vous êtes bon de cœur et doux de nature, Jasper, mais nous sommes tous les deux rudes et sauvages en comparaison de cette chère créature. Prenez-en bien soin, et ne heurtez jamais son doux caractère en lui montrant la rudesse de la nature de l’homme. Vous la comprendrez avec le temps, et le Seigneur qui a créé les lacs et les forêts, et qui regarde la vertu en souriant et le vice avec un front courroucé, vous rendra heureux et surtout digne de l’être !

Pathfinder fit signe à son ami de partir, et il resta appuyé sur sa carabine jusqu’à ce que le canot eût atteint le Scud. Mabel versait des larmes comme si son cœur eût été brisé. Elle ne détourna pas ses yeux de la clairière où elle pouvait apercevoir Pathfinder jusqu’à ce que le cutter eût doublé une pointe qui cachait entièrement l’île. Quand elle jeta un dernier regard sur cet homme extraordinaire, il était toujours dans la même position, inanimé en apparence, et comme une statue élevée en commémoration des scènes dont ce lieu solitaire avait été depuis peu le témoin.