Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 17, 1840.djvu/460

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Jasper et moi nous avons parlé franchement de cette affaire comme deux anciens amis, et quoique je fusse convaincu que nous avions presque toujours la même opinion sur toute chose, je ne pensais pas néanmoins que nous vissions les mêmes objets absolument avec les mêmes yeux jusqu’à ce que nous nous fussions expliqués ensemble relativement à vous. Jasper m’a avoué que la première fois qu’il vous a vue, il a pensé que vous étiez la plus douce et la plus charmante créature qu’il eût jamais rencontrée ; que votre voix flattait ses oreilles comme le murmure de l’eau ; qu’il lui semblait que ses voiles étaient vos vêtements flottant au gré de la brise ; que votre sourire le poursuivait dans ses rêves, et que souvent, bien souvent il s’éveillait effrayé, s’imaginant que l’on voulait vous arracher du Scud dont vous aviez fait votre demeure. Bien plus, il est convenu qu’il avait pleuré plus d’une fois en songeant que vous étiez destinée à passer vos jours avec un autre que lui.

— Jasper !

— C’est la vérité, Mabel, et il est de mon devoir de vous l’apprendre. Maintenant levez-vous et choisissez entre nous. Je crois qu’Eau-douce vous aime autant que je vous aime moi-même ; il a essayé de vous persuader qu’il vous aimait mieux, mais je ne veux pas en convenir, car je ne crois pas que cela soit possible. Mais je conviens qu’il vous aime de tout son cœur et de toute son âme et qu’il a le droit d’être entendu. Le sergent vous a confiée à moi comme à un protecteur, non comme à un tyran. Je lui ai dit que je serais un père pour vous aussi bien qu’un mari, et aucun père sensible ne peut refuser à son enfant ce léger privilège. Levez-vous, Mabel, et parlez aussi librement que si j’étais le sergent lui-même, voulant votre bonheur et rien de plus.

Mabel laissa tomber ses mains, se leva et resta face à face devant ses deux amants, mais la rongeur qui couvrait son visage était celle de l’exaltation de la fièvre plutôt que de la honte.

— Que voulez-vous de moi, Pathfinder ? dit-elle, — n’ai-je pas promis à mon pauvre père de faire tout ce que vous désireriez ?

— En ce cas voici ce que je désire. Je suis un homme des forêts et de peu de savoir, quoique je croie que mon ambition soit plus grande que mon mérite, et je ferai tous mes efforts pour rendre justice aux deux parties. En premier lieu, il est reconnu que nos sentiments, en tout ce qui nous concerne, sont exacte-