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LE LAC ONTARIO.

père vous convaincre que la chose est possible. Quant à moi, je crois que le plus grand navire qui ait jamais flotté sur l’océan pourrait la descendre, s’il pouvait une fois entrer dans les courants.

Cap ne remarqua pas le coup d’œil que Pathfinder échangea avec Eau-Douce, et il garda le silence quelque temps ; car, pour dire la vérité, il n’avait jamais soupçonné la possibilité de descendre la cataracte du Niagara, quelque faisable que la chose doive paraître à chacun, en y réfléchissant une seconde fois ; la véritable difficulté étant de la remonter.

Ils arrivèrent alors à l’endroit où Jasper avait laissé sa pirogue, cachée dans des buissons, et ils s’embarquèrent, Cap, sa nièce et Jasper sur un canot ; Pathfinder, Arrowhead et sa femme sur l’autre. Le Mohican s’était déjà avancé à pied le long de la rivière avec la circonspection et l’adresse des Indiens, pour voir s’il ne trouverait aucune trace des ennemis.

Les joues de Mabel ne reprirent toutes leurs couleurs que lorsque le canot eut regagné le courant, qu’il descendit avec une rapidité accélérée de temps en temps par la rame de Jasper. Elle avait vu la pirogue descendre la cataracte avec un degré de terreur qui l’avait rendue muette ; mais sa frayeur n’avait pas été assez forte pour l’empêcher d’admirer le sang-froid du jeune homme qui dirigeait cette évolution. Dans le fait, une personne moins vive et moins sensible aurait été frappée de l’air calme et hardi avec lequel Jasper avait accompli cet exploit. Il était resté ferme sur ses pieds pendant la descente ; et il était évident pour ceux qui étaient à terre qu’il avait employé fort à temps son adresse et sa force pour écarter la pirogue d’un rocher par-dessus lequel l’eau jaillissait en jets ; tantôt laissant voir la pierre brune, tantôt la couvrant d’une nappe limpide, comme si quelque mécanisme avait réglé les efforts de cet élément. La langue ne peut pas toujours exprimer ce que voient les yeux ; mais Mabel en avait vu assez, même dans ce moment de crainte, pour joindre à jamais dans son esprit l’image de la pirogue entraînée dans sa descente rapide, et celle de l’intrépide pilote. Elle admit ainsi dans son cœur ce sentiment insidieux qui attache si fortement la femme à l’homme, en trouvant une sûreté additionnelle à être sous sa protection. Pour la première fois depuis son départ du fort Stanwix, elle se trouvait complètement tranquille sur la frêle nacelle dans laquelle elle voyageait. Comme la seconde pirogue