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trop naturel pour lui laisser le moindre doute à ce sujet. Ce changement d’opinion lui fit d’abord éprouver la sensation d’une humilité profonde et d’une douleur excessive ; il se rappela la jeunesse de Jasper, les agréments de sa personne, et toutes les raisons qui rendaient probable qu’un tel prétendant serait plus agréable à Mabel qu’il ne pouvait l’être lui-même. La noble rectitude d’esprit qu’il possédait à un si haut degré reprit alors son pouvoir ; elle fut soutenue par la sévérité avec laquelle il se jugeait lui-même, et par cette déférence habituelle pour les droits et les sentiments des autres qui paraissait identifiée avec sa nature. Prenant le bras de Jasper, il le conduisit à un tronc d’arbre, sur lequel il le força de s’asseoir en employant l’argument irrésistible de ses muscles de fer, puis il s’assit auprès près de lui.

Au moment où ses sentiments s’étaient trahis, Eau-douce avait été à la fois honteux et alarmé de leur violence. Il aurait donné tout ce qu’il possédait au monde pour plonger dans le néant les trois minutes qui venaient de s’ébouler, mais il était trop franc par caractère, trop habitué à parler sincèrement à son ami, pour avoir un seul instant la pensée de le tromper ou de se refuser à l’explication que celui-ci se préparait à lui demander. Quoique tremblant à l’idée de ce qui allait se passer, la possibilité d’un subterfuge ne s’offrit pas à sa pensée.

— Jasper, — dit Pathfinder avec un accent dont la solennité fit vibrer tout les nerfs de son compagnon, — cela m’a surpris ! Vous avez pour Mabel un sentiment plus tendre que je ne le pensais ; et si ma vanité et mes désirs ne m’ont pas cruellement trompé, je vous plains, mon garçon, je vous plains de toute mon âme ! Oui, je sens combien est à plaindre celui qui a donné son cœur à une créature telle que Mabel, s’il n’a pas l’espoir d’être pour elle ce qu’elle est pour lui. La chose doit être éclaircie, Eau-douce, comme disent les Delawares, jusqu’à ce qu’il ne reste pas un nuage entre nous.

— Quel besoin peut-il y avoir d’éclaircissements, Pathfinder ? J’aime Mabel Duuham, et Mabel Dunham ne m’aime pas ; elle vous préfère pour mari ; et ce que j’ai de mieux à faire est de m’en aller sur l’eau salée, et d’essayer de vous oublier tous deux.

— M’oublier, Jasper ! — ce serait une punition que je ne mérite pas. Mais comment savez-vous que Mabel me préfère ? — comment pouvez-vous le savoir ? cela me semble impossible !