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personne à aimer, et je doute fort que j’aime jamais personne autant que vous et Mabel.

— Je vous remercie, mon garçon, je vous remercie de tout mon cœur ; mais ce que vous appelez aimer Mabel, est seulement de l’amitié, et c’est une chose très-différente de ce que je sens ; à présent, au lieu de dormir aussi profondément que la nature à minuit, ainsi que j’avais coutume de le faire, je rêve toute la nuit de Mabel Dunham ; les jeunes daims folâtrent autour de moi, et si je prends Tue-daim pour en abattre un, ils se retournent et il me semble leur voir à tous les doux traits de Mabel ; et ils sourient en me regardant, comme s’ils voulaient me dire : Tuez-moi si vous l’osez ! Puis j’entends sa douce voix se mêler aux chants des oiseaux ; et pas plus tard que la dernière nuit, il me semblait en imagination que je sautais par-dessus la cataracte du Niagara, tenant Mabel dans mes bras plutôt que de m’en séparer. Les plus cruels moments que j’aie jamais connus, sont ceux où le diable ou quelque sorcier de Mingo me mettent dans la tête en rêvant que Mabel est perdue pour moi par quelque malheur inexplicable, ou par changement ou par violence.

— Ô Pathfinder ! si cela vous semble si cruel en songe, que doit donc éprouver celui qui en sent la réalité, et qui sait que tout est vrai, oui, si vrai qu’il n’a plus d’espérance et qu’il ne lui reste que le désespoir !

Jasper laissa échapper ces mots, comme un vase, soudainement brisé, laisse couler le fluide qu’il contient. Ils furent prononcés involontairement, presque à son insu, mais avec un accent de vérité et de sensibilité qui ne laissait pas le moindre doute sur leur sincérité profonde. Pathfinder tressaillit et considéra son ami une minute, avec l’air d’un homme troublé jusqu’au fond de l’âme, il l’était en effet, car en dépit de toute sa simplicité, la vérité s’était montrée à lui. Chacun sait avec quelle promptitude les preuves se présentent dès que l’esprit est sur la voie d’un fait jusqu’alors inconnu, et avec quelle rapidité mille souvenirs viennent à l’appui du premier soupçon. Notre héros était naturellement si confiant, si juste et si dispose à croire que ses amis lui souhaitaient le même bonheur qu’il leur désirait lui-même, que jamais avant ce malheureux instant, il n’avait eu le plus léger soupçon de l’affection de Jasper pour Mabel ; mais il connaissait trop bien maintenant les émotions qui caractérisent la passion, et l’élan des sentiments de son compagnon avait été trop violent et