choix, ou celui de Cœur-de-Pierre, par lequel on le désignait ordinairement sur les frontières, était devenu aussi redoutable aux femmes et aux enfants de cette portion du pays, que ceux de Butler et de Brandt le devinrent plus tard.
La rencontre entre Pathfinder et Sanglier avait quelque ressemblance avec la célèbre entrevue de Wellington et de Blücher, qui a été si souvent et si exactement décrite ; elle eut lieu près du feu, et tous deux se regardèrent attentivement plus d’une minute sans parler ; l’un et l’autre se sentait en présence d’un ennemi formidable, et chacun d’eux, en comprenant qu’il devait traiter son adversaire avec la mâle confiance due à un guerrier, sentait aussi qu’il existait entre eux aussi peu de rapports de caractère que d’intérêts. L’un avait pour but la fortune et l’avancement ; l’autre suivait sa carrière, parce que sa vie avait été jetée dans le désert, et que sa patrie avait besoin de son bras et de son expérience. Le désir de s’élever au-dessus de sa situation présente n’avait jamais troublé la tranquillité de Pathfinder, et jamais une seule pensée d’ambition ne s’était offerte à son esprit avant de connaître Mabel ; depuis lors, il est vrai que sa méfiance de lui-même, sa vénération pour elle et le désir de la placer dans une situation plus élevée que celle qu’il occupait, lui avaient fait passer quelques instants pénibles ; mais la droiture et la simplicité de son caractère l’avaient bientôt mis à l’aise, et il n’avait pas tardé à sentir que la femme qui n’hésiterait pas à l’accepter pour mari ne répugnerait pas à partager sa fortune, quelque humble qu’elle fût. Il estimait le Sanglier pour sa bravoure, et il avait trop de cette libéralité qui est le résultat de l’expérience, pour croire la moitié de ce qu’il avait entendu dire à son préjudice ; car l’intolérance et l’opiniâtreté suivent en général la progression de l’ignorance ; mais il ne pouvait pas approuver son égoïsme, ses calculs froidement cruels, et surtout la manière dont il oubliait sa nature d’homme blanc pour prendre celle d’une peau-rouge. D’un autre côté, Pathfinder était une énigme pour le capitaine Sanglier. Ce dernier ne pouvait pas comprendre les motifs de l’autre ; il avait souvent entendu parler de son désintéressement, de sa justice, de sa sincérité ; et dans plusieurs occasions, ces qualités lui avaient pourtant fait commettre de graves erreurs, d’après le principe qui fait dire qu’un diplomate franc et ouvert garde mieux son secret que celui qui est taciturne et rusé.