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blessé. Mabel sentait à chaque instant le besoin de communiquer encore par des paroles avec le père qu’elle était sur le point de perdre pour toujours, et en même temps elle craignait de troubler le repos qu’il semblait goûter. Mais Dunham ne dormait pas ; il était dans cet état où le monde perd subitement ses attraits, ses illusions et son pouvoir, et où l’avenir inconnu remplit l’esprit de ses conjectures, de ses révélations et de son immensité. Il avait conservé toute sa vie une grande moralité pour un homme qui avait embrassé la carrière des armes, mais il ne s’était jamais occupé du moment solennel qui précède la mort. Si le bruit d’une bataille eût toujours frappé son oreille, son ardeur martiale aurait pu durer jusqu’au dernier moment, mais dans le silence de ce bâtiment inhabité où aucun son ne rappelait la vie, où aucun appel ne ranimait des sentiments factices, où aucune espérance de victoire ne se présentait à la pensée, les choses du monde commençaient à prendre à ses yeux leurs véritables couleurs, et il appréciait l’existence à sa juste valeur. S’il avait eu des trésors, il les aurait donnés pour des consolations religieuses, mais il ne savait de quel côté les chercher. Il songea à Pathfinder, mais il n’avait aucune confiance dans ses lumières. Il songea à Mabel, mais un père demander de pareils secours à son enfant, n’est-ce pas renverser l’ordre de la nature ? C’est alors qu’il pensa aussi à la responsabilité de ce titre de père, et qu’il se demanda comment il avait lui-même rempli ses devoirs envers une fille restée sans mère. Tandis que ces pensées s’élevaient dans son esprit, Mabel, qui surveillait le moindre changement dans sa respiration, entendit un coup frappé légèrement à la porte. Supposant que ce pourrait être Chingashgook, elle se leva, leva les deux premières barres, mais avant de lever la troisième elle demanda qui frappait. Elle reconnut dans la réponse la voix de son oncle qui la suppliait de lui ouvrir la porte à l’instant. Mabel sans hésiter tourna la barre, et aussitôt Cap se présenta. Il avait à peine passé la porte, que Mabel la referma, car l’habitude du danger l’avait rendue aussi experte que prudente.

Lorsque ce courageux marin vit que son beau-frère, quoique blessé, était en sûreté ainsi que Mabel, il fut attendri jusqu’aux larmes. Quant à lui, il expliqua son arrivée en disant qu’il avait été gardé avec négligence parce qu’on supposait qu’il dormait ainsi que le quartier-maître d’un sommeil rendu plus profond par la quantité de liqueur qu’on les avait excités à boire pour