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— Je vous comprends et je sens la nature et la justice de vos sentiments. Après tout il vaut mieux que je reste ici, car je me suis très probablement exagéré mes forces. Mais dites-moi une chose : si mon oncle venait et demandait à entrer, me laisseriez-vous ouvrir la porte du fort pour le recevoir ?

— Certainement, — lui prisonnier ici, et Rosée-de-Juin aimer mieux faire prisonniers que prendre chevelures. — Chevelures bonnes pour l’honneur, prisonniers bons pour sentiment. Mais Eau-Salée caché si bien que pas savoir lui-même où lui être.

Et elle se mit à rire avec sa gaîté de jeune fille, car les scènes de violence lui étaient trop familières pour lui laisser une impression assez profonde pour changer son caractère naturel. Elles commencèrent alors un long et sérieux entretien dans lequel Mabel s’efforça d’obtenir des renseignements plus clairs sur sa situation actuelle, dans la faible espérance de pouvoir tourner à son avantage quelques-uns des faits qu’elle apprendrait ainsi. L’Indienne répondit à toutes ses questions avec simplicité, mais aussi avec une circonspection qui montrait qu’elle savait fort bien distinguer ce qui était indifférent de ce qui pouvait mettre ses amis en danger ou contrarier leurs plans. Notre héroïne était incapable de chercher à faire tomber sa compagne dans un piège, mais elle voyait évidemment que l’entreprise aurait été d’une extrême difficulté si elle avait eu la bassesse de la tenter. Rosée-de-Juin néanmoins ne fut appelée dans le cours de ses révélations qu’à exercer un prudent discernement ; et la substance des renseignements qu’elle donna peut se résumer ainsi.

Arrowhead était depuis long-temps en communication avec les Français, quoique ce fût la première fois qu’il eût entièrement levé le masque. Il n’avait plus le projet de gagner la confiance des Anglais, car il avait découvert des traces de méfiance, surtout dans Pathfinder, et avec la bravade indienne il se plaisait à faire connaître sa franchise plutôt qu’à la cacher. Il avait commandé les sauvages dans l’attaque de l’île, soumis néanmoins à la surveillance des Français dont nous avons parlé. Cependant Rosée-de-Juin refusa de dire s’il avait ou non servi à découvrir la position d’une place qu’on croyait si bien cachée à l’ennemi. Sur ce point elle garda le silence, mais elle convint qu’elle et son mari avaient épié le départ du Scud au moment où ils furent poursuivis et pris par le cutter. Les Français n’avaient appris que très-récemment la position précise du poste anglais. Mabel sen-