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en santé, le brave homme, libre ou prisonnier, aurait l’esprit plus tranquille.

Sandy était le mari de Jenny, et il était couché sans vie en face de la meurtrière par laquelle notre héroïne regardait alors.

— Vous ne me dites pas si vous voyez Sandy, — répéta la pauvre femme, impatientée du silence de Mabel.

— Quelques-uns des nôtres sont autour du corps de Mac-Nab, répondit celle-ci ; car un mensonge positif lui eût semblé un sacrilège, dans la terrible situation où elle se trouvait.

— Sandy est-il du nombre ? — demanda la femme d’une voix effrayante par son âpreté et son énergie.

— Il peut en être certainement, car j’en vois un, deux, trois, quatre, et tous portent l’habit rouge du régiment.

— Sandy ! — cria Jenny avec une sorte de frénésie, — pourquoi ne prenez-vous pas soin de votre vie ? Venez ici sur-le-champ, et partagez le sort de votre femme, en bien comme en mal. Ce n’est pas le moment de penser à votre sotte discipline et à vos vaincs idées de point d’honneur ! Sandy ! Sandy !

Mabel entendit la barre tomber et la porte crier sur ses gonds. L’attente, pour ne pas dire la terreur, la retint à sa place. Elle vit bientôt Jenny courant à travers les buissons, du côté où les morts étaient étendus ; il ne lui fallut qu’un instant pour atteindre le lieu fatal. Le choc fut si violent et si inattendu, que dans son trouble elle ne parut pas en avoir compris toute l’horreur. Une étrange idée s’offrit à son esprit, elle se figura que ces hommes se jouaient de ses craintes. Saisissant la main de son mari qui était encore tiède, elle crut voir un sourire moqueur entrouvrir ses lèvres.

— Pourquoi risquer ainsi votre vie, Sandy ? — cria-t-elle en le tirant par le bras ; — vous serez tous assommés par ces maudits Indiens, si vous ne venez pas dans le fort, comme de bons soldats ; allons, allons, ne perdons pas des moments si précieux.

Faisant un effort désespéré, Jenny tira le corps de son mari d’une manière qui lui permit d’en voir entièrement le visage : une petite ouverture à la tempe, par où la balle était entrée, et quelques gouttes de sang coulant sur la peau, lui révélèrent alors la cause du silence de son mari. Lorsque l’affreuse vérité se présenta ainsi à son esprit, la femme joignit les mains, poussa un cri qui retentit dans les vallons des îles voisines, et tomba sur le corps inanimé de son mari. Ce cri, quelque déchirant, quelque