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— Mari toujours près de sa femme ici, — dit l’Indienne en mettant la main sur son cœur.

— Excellente créature ! mais dites-moi, dois-je rester dans le fort aujourd’hui, — ce matin, à présent ?

— Fort, être bon ; très-bon pour les femmes. — Avoir pas de chevelure.

— J’ai peur de ne vous entendre que trop bien : voudriez-vous voir mon père ?

— Pas ici, parti.

— Vous ne pouvez pas savoir cela ; vous voyez que l’île est remplie de ses soldats.

— Pas remplie, partis. Et l’Indienne leva quatre doigts en disant : Pas plus d’habits rouges.

— Et Pathfinder, ne seriez-vous pas bien aise de le voir ? Il peut vous parler en langue iroquoise.

— Langue, être partie avec lui, dit Rosée-de-Juin en riant ; lui garder langue dans sa bouche.

Le rire enfantin de la jeune Indienne avait quelque chose de si doux et de si communicatif, que Mabel ne put s’empêcher de rire aussi, quoique ses craintes augmentassent.

— Vous paraissez savoir ou croire savoir tout ce qui se passe autour de nous, Rosée-de-Juin. Mais si Pathfinder est parti, Eau-douce peut parler français ; vous connaissez Eau-douce, voulez-vous que je coure le chercher, et que je l’amène pour causer avec vous ?

— Eau-douce parti aussi, mais pas son cœur qui est là. En disant ces mots, l’Indienne se mit à rire de nouveau, regarda de différents côtés comme pour éviter d’embarrasser son amie ; puis elle posa la main sur le sein de Mabel.

Notre héroïne avait souvent entendu parler de l’étonnante sagacité des Indiens, et de la perspicacité avec laquelle ils remarquaient toutes choses sans paraître en regarder aucune ; mais elle n’était pas préparée à la tournure que l’entretien avait pris si singulièrement ; voulant la changer et en même temps impatiente d’apprendre quelle était l’étendue réelle du danger qui la menaçait, elle quitta le tabouret sur lequel elle était assise, et mettant plus de réserve dans ses manières, elle espéra parvenir mieux à son but et éviter des allusions qui l’embarrassaient.

— Vous savez, lui dit-elle, ce que vous devez dire et ce que vous devez taire. J’espère que vous m’aimez assez pour m’instruire de ce qu’il me serait nécessaire de savoir. Mon cher oncle